La révocation d’un fonctionnaire en raison d’une condamnation pénale antérieure à sa nomination dont l’administration après connaissance après la nomination, n’est possible qu’à la condition que les faits condamnés soient incompatibles avec le maintien de l’intéressé dans la fonction publique.
Faits
À la suite de la découverte de fraudes aux prestations sociales versées par le département de la Seine-Saint-Denis, le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire.
Il a ensuite prononcé sa révocation. Cette révocation était fondée sur les motifs suivants:
- les antécédents judiciaires ont été regardés comme incompatibles avec l’exercice par l’intéressé de ses fonctions,
- la consultation à trois reprises, en mars et avril 2014, d’un dossier ne relevant pas de son champ d’intervention et relatif au bénéfice de prestations sociales dont a frauduleusement bénéficié une de ses connaissances.
Ce fonctionnaire a saisi le tribunal administratif de Montreuil qui a annulé cette révocation et enjoint au département de la Seine-Saint-Denis de réintégrer ce fonctionnaire et de reconstituer sa carrière.
La Cour administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement et rejeté la demande qu’il avait présentée devant le tribunal administratif.
Le fonctionnaire saisit alors le Conseil d’Etat.
Droit applicable
Lorsque l’administration estime que des faits, antérieurs à la nomination d’un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance, révèlent, par leur nature et en dépit de leur ancienneté, une incompatibilité avec le maintien de l’intéressé dans la fonction publique, il lui revient, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire.
Solution retenue
- La Cour administrative d’appel
La Cour administrative d’appel de Versailles a jugé que s’il n’était pas établi par le département que ce fonctionnaire avait procédé irrégulièrement à la consultation du dossier d’un bénéficiaire par fraude d’une allocation versée par le département et que ces faits ne pouvaient en conséquence pas être retenus pour justifier la sanction prise à son encontre, il ressortait toutefois des pièces du dossier que le président du département aurait pris la même décision s’il n’avait retenu que les antécédents judiciaires de ce fonctionnaire.
- Le Conseil d’Etat
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a relevé que la Cour administrative d’appel avait retenu à juste titre que des faits à l’origine de condamnations judiciaires d’un agent public, antérieurs à son recrutement, pouvaient, le cas échéant, constituer le fondement de poursuites disciplinaires.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat a toutefois considéré que la cour n’avait pas suffisamment motivé sa décision en se bornant à relever l’existence des antécédents judiciaires, sans caractériser les faits à l’origine des condamnations de ce dernier et sans apprécier si ces faits, compte tenu de leur nature et de leur ancienneté, étaient de nature à conduire à la révocation de l’intéressé.
=> Le Conseil d’Etat relève dès lors que le fonctionnaire est fondé à demander l’annulation de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel.
Le Conseil d’Etat a ensuite analyser le fondement de la révocation et a considéré qu’aucune charge n’avait été retenue à l’issue de l’enquête judiciaire qui avait été diligentée après la découverte de fraudes aux prestations sociales versées par le département.
En outre, il n’était pas établi que ce fonctionnaire aurait procédé irrégulièrement à la consultation du dossier d’un bénéficiaire par fraude d’une allocation versée par le département.
=> Dès lors, le Conseil d’Etat considère que ce fonctionnaire est fondé à soutenir que ces faits ne pouvaient être retenus pour justifier la sanction de révocation prononcée à son encontre.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat a rappelé qu’il ressortait des pièces du dossier que ce fonctionnaire avait été condamné:
- par le tribunal correctionnel de Meaux, par jugement du 17 mars 2008, à raison d’un vol avec violence n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail, commis au préjudice d’un magasin pour un montant de 485 euros, à une peine de deux ans de prison dont un an avec sursis
- par le tribunal correctionnel de Bobigny, par jugement du 29 mars 2012, pour avoir tenté de pénétrer sans autorisation dans un établissement pénitentiaire en s’y présentant avec une pièce d’identité qui n’était pas la sienne, à une peine de trente jours-amende.
Ces condamnations, antérieures à son recrutement par le département de la Seine-Saint-Denis à compter du 2 juillet 2012, ont cependant donné lieu, pour la seconde, à une dispense d’inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire de l’intéressé et, pour la première, à un effacement de ces mentions par jugement du tribunal de grande instance de Meaux du 15 mai 2012.
=> Eu égard à l’ancienneté des faits ayant justifié la première condamnation de ce fonctionnaire, et à leur nature, ayant d’ailleurs conduit l’autorité judiciaire à retenir en 2012 que leur gravité ne justifiait pas ou plus de mention des condamnations correspondantes au bulletin n°2 du casier judiciaire, ces faits à eux seuls, dont l’administration a pris connaissance en 2014, n’affectaient pas le bon fonctionnement ou la réputation du service dans des conditions justifiant la révocation du fonctionnaire.
Par voie de conséquence, le département de la Seine-Saint-Denis n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l’arrêté du 26 avril 2017 et lui a enjoint de réintégrer ce fonctionnaire à et de reconstituer sa carrière dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Pour lire l’arrêt: Conseil d’Etat, 3 mai 2023, n°438248
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Voir également sur le même sujet :
Procédure disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire : délai de prescription de trois ans