Un fonctionnaire peut obtenir la protection fonctionnelle en cas de situation de harcèlement moral. Le refus d’accorder la protection fonctionnelle peut être contesté devant le tribunal administratif. Par ailleurs, le fonctionnaire peut également demandé la réparation des préjudices subis.
🔷Faits
Une puéricultrice de classe normale des administrations parisiennes, responsable de la crèche collective Santos-Dumont, a adressé à la ville de Paris une demande tendant:
- à l’octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle,
- à l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison de faits de harcèlement moral,
- à d’autres faits engageant la responsabilité de la ville de Paris.
Par une décision du 7 décembre 2020, la ville de Paris a rejeté la demande de protection fonctionnelle.
Elle demande au tribunal d’annuler cette décision et de condamner la ville de Paris à lui verser une indemnité de 93 954,20 euros en réparation de ses préjudices.
🔷Droit applicable
Article 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 dans sa rédaction applicable aux faits en litige :
Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Voir l’article L133-2 du code général de la fonction publique pour la version applicable aujourd’hui.
Article 11 de la même loi :
I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l’ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (). / IV. La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (..).
Voir l’article L134-5 du code général de la fonction publique pour la version applicable aujourd’hui.
🔷Solution retenue
En ce qui concerne le harcèlement moral
Dans un premier temps, le tribunal rappelle que l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 établit à la charge de l’administration » une obligation de protection de ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d’intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l’agent est exposé, mais aussi d’assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu’il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l’administration à assister son agent dans l’exercice des poursuites judiciaires qu’il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l’autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce ».
Dans un second temps, le tribunal rappelle les éléments constitutifs du harcèlement moral :
« il appartient à l’agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu’il entend contester le refus opposé par l’administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d’en faire présumer l’existence. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile ».
Dans l’affaire jugée par le tribunal, le tribunal a relevé que l’ensemble des éléments présentés par la puéricultrice ayant saisi le tribunal, alors qu’elle occupait pour la première fois les fonctions de responsable de crèche à compter de septembre 2016, était de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral.
Le tribunal s’est notamment appuyé sur les faits suivants :
- Elle avait fait l’objet d’une mutation à caractère disciplinaire annulé par un précédent jugement du tribunal administratif.
- Une animosité particulière existait envers cette puéricultrice matérialisée notamment par le contenu de certains échanges par mails:
Message du directeur des familles et de la petite enfance de juillet 2017, portant son avenir professionnel , rédigé en ces termes : « [Ses] initiatives sont désordonnées et ne sont pas celles d’un cadre de la fonction publique (…). Il nous faut l’attaquer pour qu’elle s’arrête !!! Et qu’elle ne soit pas surprise de notre action disciplinaire ».
Message du sous-directeur aux ressources de cette direction, évoquant » la multiplicité des initiatives et des interventions de cette responsable dont certaines pourraient même se traduire par une action disciplinaire » ce dernier ajoutant, dans un autre courriel du même jour : Et à la rentrée (…) de son congé maternité] on la défonce »
- La psychologue affectée à la crèche a relevé qu’elle avait « des projecteurs sur elle que je ne constate nulle part ailleurs ». Elle avait également relevé qu’elle était victime d’agressivité de la part de la coordonnatrice de la petite enfance et de la médecin de la crèche.
- La ville de Paris avait, à deux reprises, sollicité la réalisation d’enquêtes administratives concernant la crèche durant les périodes pour lesquelles elle exerçait ses responsabilités alors qu’il est constant que plusieurs dysfonctionnements ont été constatés dans cette crèche avant son arrivée et après ses départs en congé de maladie et de maternité.
=> Les agissements répétés à son encontre sont constitutifs de harcèlement moral ouvrant droit à l’intéressée au bénéfice de la protection fonctionnelle.
En ce qui concerne la réparation des préjudices subis
Les mesures prises à l’encontre de cette puéricultrice permettent d’établir l’existence d’un harcèlement moral constituant une faute de nature à engager la responsabilité de la ville de Paris.
Dès lors, le tribunal s’est intéressé à la responsabilité pour faute et à la responsabilité sans faute.
- Responsabilité pour faute
Au vu des pièces du dossiers (certificats médicaux, dépression reconnue imputable au service et témoignages produits), le tribunal a considéré que la ville de Paris avait méconnu son obligation de sécurité de ses agents. Par voie de conséquence, le tribunal a considéré que la responsabilité pour faute de la ville de Paris est engagée.
- Responsabilité sans faute
Il convient dans un premier temps de rappeler les conditions d’application de ce régime de responsabilité sans faute.
Ainsi, le tribunal rappelle le cadre juridique applicable :
- Articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite
- pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, le II de l’article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965
=> Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d’un accident de service ou atteint d’une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l’atteinte qu’il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions.
Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique.
Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
Dans cette affaire, le tribunal a rappelé que la dépression dont souffre la requérante, constatée le 10 mars 2017, et dont elle a connu une rechute a été reconnue imputable au service le 22 décembre 2021. Par voie de conséquence, le tribunal a considéré qu’elle était fondée à demander la condamnation de la ville de Paris sur le fondement de la responsabilité sans faute.
- Les indemnités accordées par le tribunal
La requérante a obtenu une indemnité totale de 17 000 euros :
- Le tribunal relève qu’elle a souffert d’un état anxio-dépressif, de troubles du sommeil et d’une asthénie réactionnelle directement en lien avec la pathologie imputable au service. Une indemnité de 3 000 euros est accordée.
- Eu égard à l’illégalité fautive des décisions de mutation d’office et de refus de candidature, aux faits de harcèlement moral, à l’absence de mesures prises pour le faire cesser et à l’atteinte à sa réputation professionnelle. Une indemnité de 12 000 euros est accordée.
- Les agissements en cause ont nécessité que Mme A consacre du temps à la défense de ses droits au détriment de sa vie familiale. Une indemnité de 2 000 euros st accordée.
Pour lire le jugement :
Tribunal administratif de Paris, 2e Section – 3e Chambre, 20 juillet 2023, 2102411
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