protection fonctionnelle harcelement

Un fonctionnaire victime de harcèlement moral peut demander la protection fonctionnelle. Un agent contractuel peut également solliciter la protection fonctionnelle lorsqu’il subit des faits relevant du harcèlement moral.

Toutefois, il est important de savoir que si le supérieur hiérarchique est mis directement en cause, il ne peut pas statuer sur la demande de protection fonctionnelle.

Dans un arrêt récent, (26 janvier 2024), la Cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Melun qui avait accordé à un agent le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Les juges ont estimé que les agissements reprochés à la maire de Fresnes ne constituaient pas un harcèlement moral et relevaient de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

L’intérêt de cet arrêt réside dans le fait que la Cour a jugé que la maire de Fresnes avait méconnu le principe d’impartialité en se prononçant elle-même sur la demande de protection fonctionnelle de l’agent. La Cour a donc enjoint à la commune de réexaminer cette demande dans un délai de deux mois.

🔷 Faits

Un agent a été recruté par la commune de Fresnes en qualité d’attaché non titulaire, chargé de la politique de la ville.

Le 8 avril 2020 il a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral dont il estime avoir été la victime. Sa demande a été refusée par la maire de Fresnes le 25 mai 2020.

En première instance, le tribunal administratif de Melun lui a donné raison et a enjoint à la commune de Fresnes d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

La commune de Fresnes saisit alors la Cour administrative d’appel afin d’obtenir l’annulation de ce jugement.

🔷 Droit applicable

Protection fonctionnelle en cas de harcèlement moral

Aux termes de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983  (aujourd’hui repris ont été repris aux articles L. 134-1 et L. 134-5 du code général de la fonction publique)  :

« (…) IV.-La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (…) ».

Aux termes de l’article 6 quinquies de cette même loi :

« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (…) ».

En vertu de l’article 32 de cette même loi, ces dispositions sont applicables aux agents contractuels.

En ce qui concerne la preuve du harcèlement moral : 

Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

Aux termes de l’article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique :

« I. – Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. / Lorsqu’ils estiment se trouver dans une telle situation : (…) / 2° Sous réserve des exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 432-12 du code pénal, les personnes titulaires de fonctions exécutives locales sont suppléées par leur délégataire, auquel elles s’abstiennent d’adresser des instructions (…) ».

Aux termes de l’article 5 du décret d’application de cette loi du 31 janvier 2014, applicable notamment aux maires :

« Lorsqu’elles estiment se trouver en situation de conflit d’intérêts, qu’elles agissent en vertu de leurs pouvoirs propres ou par délégation de l’organe délibérant, [ces personnes] prennent un arrêté mentionnant la teneur des questions pour lesquelles elles estiment ne pas devoir exercer leurs compétences et désignant, dans les conditions prévues par la loi, la personne chargée de les suppléer. / Par dérogation aux règles de délégation prévues aux articles L. 2122-18 (…) du code général des collectivités territoriales, elles ne peuvent adresser aucune instruction à leur délégataire ».

Harcèlement moral : qui peut statuer sur la demande de protection fonctionnelle ? 

« Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales que le maire, qui n’aurait pas délégué cette fonction, est en principe compétent pour se prononcer sur une demande de protection fonctionnelle émanant des agents de sa commune. Toutefois, face à une telle demande qui viserait des faits de harcèlement moral le concernant personnellement et qui comporterait les éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un harcèlement, tels que mentionnés au point 3, il se trouve en situation de ne pouvoir se prononcer sans méconnaître les exigences qui découlent du principe d’impartialité, et il lui appartient, pour le motif indiqué au point 6, de transmettre celle-ci à l’un de ses adjoints ou à l’un des conseillers municipaux dans les conditions prévues à l’article L. 2122-17 du même code » (Cour administrative d’appel de Douai, 3ème Chambre, 3 février 2022, 20DA02055) .

« M. B se plaint d’agissements imputés au maire et à plusieurs élus de la commune qui ont eu pour conséquence une dégradation de son état de santé. Il expose avoir été victime de comportements maltraitants, de reproches incessants et de récriminations en public de la part du maire de Deyme, et fait notamment état d’une altercation, survenue le 31 juillet 2019, au cours de laquelle il a été violemment pris à partie par ce dernier en public. Il précise en outre avoir déposé le 1er août 2019 une plainte pénale pour harcèlement moral. Dans ces circonstances, les faits relatés par M. B, dont l’absence de toute matérialité ne résulte pas de l’instruction, qui mettent en cause le maire de Deyme, sont ainsi susceptibles de faire présumer l’existence d’un harcèlement moral et ne peuvent dès lors se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dans ces conditions, le maire de Deyme ne pouvait légalement, sans manquer au principe d’impartialité, se prononcer lui-même sur la demande de protection fonctionnelle de M. B » (Tribunal administratif de Montpellier, 3ème Chambre, 12 mai 2023, 2123564).

Pour la fonction publique hospitalière : 

« Il résulte de l’ensemble des dispositions qui gouvernent les relations entre les agences régionales de santé et les établissements de santé, notamment de celles de l’article L. 6143-7-1 du code de la santé publique qui donnent compétence au directeur général de l’agence régionale de santé pour mettre en oeuvre la protection fonctionnelle au bénéfice des personnels de direction des établissements de santé de son ressort, que lorsque le directeur d’un établissement public de santé, à qui il appartient en principe de se prononcer sur les demandes de protection fonctionnelle émanant des agents de son établissement, se trouve, pour le motif indiqué au point précédent, en situation de ne pouvoir se prononcer sur une demande sans méconnaître les exigences qui découlent du principe d’impartialité, il lui appartient de transmettre la demande au directeur général de l’agence régionale de santé dont relève son établissement, pour que ce dernier y statue ». (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 2ème Chambre, 29 décembre 2020, 18BX02773). 

Pour la fonction publique d’état : Cour administrative d’appel de Marseille, 6ème Chambre, 19 juin 2023, 21MA02537

🔷 Solution retenue

🧿 Sur l’obligation d’impartialité dans l’instruction de la demande de protection fonctionnelle

➡️Si la protection résultant des dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 n’est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l’un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. Des agissements constitutifs de harcèlement moral ne sont, par principe, pas susceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

➡️Il résulte par ailleurs du principe d’impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison d’actes insusceptibles, à les supposer avérés, de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l’autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné. (Conseil d’État, Chambres réunies, 29 juin 2020, 423996, Publié au recueil Lebon).

Dans le cas soumis à la cour administrative d’appel, la demande de protection fonctionnelle mettait en cause les agissements de la maire de Fresnes et l’accusait de harcèlement moral. Par voie de conséquence, en se prononçant elle-même sur cette demande, la maire a méconnu le principe d’impartialité.

➡️Le présent arrêt implique seulement qu’il soit enjoint, d’une part, à la maire de Fresnes, en principe seule chargé de l’administration en vertu de l’article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales, de prendre, dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt, un arrêté désignant l’adjoint qui sera chargé de se prononcer, en toute indépendance, conformément aux dispositions précitées du décret du 31 janvier 2014, sur la demande de protection fonctionnelle présentée par l’agent et, d’autre part, à cet adjoint d’examiner cette demande dans le délai d’un mois à compter de sa désignation.

🧿Sur les faits de harcèlement moral relatés dans la demande de protection fonctionnelle

La juridiction considère qu’au regard des fautes commises l’agent, la décision de suspension et la procédure disciplinaire dont il a fait l’objet et qui a donné lieu à la sanction n’ont pas excédé l’exercice normal, par la maire de Fresnes, de son pouvoir hiérarchique.

➡️ En revanche, la saisine du conseil de discipline le 7 février 2019 pour des faits relevant d’ailleurs, pour la plupart, de l’insuffisance professionnelle et dont aucun n’était fondé, et la décision illégale de radiation des cadres du 26 août 2019 ont excédé l’exercice normal de son pouvoir hiérarchique.

Malgré cela, la juridiction considère que cette saisine et cette radiation ne peuvent être regardées, même prises ensemble, comme revêtant le caractère d’agissements répétés, seul de nature à caractériser une situation de harcèlement moral.

Les faits de harcèlement moral sont écartés.

Dans ces conditions, la commune de Fresnes est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Melun a retenu, pour annuler la décision refusant d’accorder la protection fonctionnelle, que celui-ci avait été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral.

Pour lire l’arrêt:  Cour administrative d’appel de Paris, 4ème Chambre, 26 janvier 2024, 22PA04963

Sur le même sujet : Qu’est-ce que la protection fonctionnelle dans la fonction publique ?

Shanffou

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