Il est possible d’obtenir la suspension en urgence d’une décision de licenciement pour insuffisance professionnelle. Explications avec une ordonnance du tribunal administratif de Nîmes (6 novembre 2023).
🔷 Faits
Un adjoint administratif des services hospitaliers affecté au centre hospitalier de Ponteils depuis 2007 et titularisé en 2016, a fait l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle avec radiation des cadres.
Pour caractériser l’inaptitude de cet agent à exercer ses fonctions et prononcer son licenciement pour insuffisance professionnelle, le directeur du centre hospitalier de Ponteils s’était fondé sur:
- son incapacité à rédiger dans un temps raisonnable les comptes-rendus de consultations dictés par les médecins à destination du médecin traitant et du patient,
- son incapacité à tenir à jour et classer les dossiers des patients,
- son incapacité à effectuer la prise de rendez-vous extérieurs pour les patients du service,
- sur des retards importants dans la réalisation du codage PMSI, MCO et SSR,
- sur des difficultés organisationnelles dans le traitement et le rangement des documents.
Cet agent a alors sollicité la suspension de l’exécution de cette décision devant le tribunal administratif.
🔷 Droit applicable
Conditions relatives au référé suspension :
Article L. 521-1 du code de justice administrative :
«Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ».
🧿 Urgence:
« La condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre.(Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 3 novembre 2023, 465818).
Il appartient au juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une telle décision, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue». (Conseil d’État, 3ème chambre, 27 octobre 2022, 462934).
L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire (Conseil d’État, Juge des référés, 29 juin 2023, 474733).
Aux termes de l’article L. 522-1 dudit code :
« Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique () ».
Et aux termes du premier alinéa de l’article R. 522-1 dudit code :
« La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit () justifier de l’urgence de l’affaire ».
🧿 Moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision :
Sur les missions confiées aux adjoints administratifs hospitaliers
Article 3 du décret du 12 décembre 2016 portant statut particulier des corps des personnels administratifs de la catégorie C de la fonction publique hospitalière :
« I. – Les adjoints administratifs hospitaliers sont chargés de tâches administratives d’exécution comportant la connaissance et l’application de dispositions législatives ou réglementaires. Ils peuvent également être chargés de fonctions d’accueil et de secrétariat et être affectés à l’utilisation des matériels de communication. ».
🔷 Solution retenue
Le tribunal administratif va prononcer la suspension du licenciement pour insuffisance professionnelle. En effet, les deux conditions prévues pour pouvoir prononcer la suspension de ce licenciement pour insuffisance professionnelle sont remplies.
🧿 Urgence
Le tribunal administratif relève que la décision contestée a pour effet de mettre fin à l’activité professionnelle de cet agent et de le priver de la rémunération, d’un montant de 1 800 euros nets par mois, qu’il percevait en qualité d’adjoint administratif des services hospitaliers.
💡Le tribunal considère que l’urgence est remplie même si cet agent bénéficie d’une indemnité de licenciement et est éligible à l’allocation d’aide au retour à l’emploi. En effet, il « justifie suffisamment d’un bouleversement dans ses conditions d’existence et du retentissement psychologique de cette mesure. La décision contestée préjudicie donc de manière grave et immédiate à la situation du requérant».
Par ailleurs, le tribunal relève que le centre hospitalier ne démontre pas l’urgence à maintenir l’exécution de la décision contestée dans l’intérêt du suivi des patients et des finances de l’établissement.
🧿 Moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige
Dans un premier temps, le tribunal revient sur les missions exercées par cet agent et retient que le moyen tiré de l’erreur de droit est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
Ainsi, il est relevé qu’il assure, outre du secrétariat, des missions de traitement et d’analyse de l’information médicale aux fins de codage des actes médicaux, détaillées dans la fiche de poste intitulée « Adjoint administratif – technicien de l’information médicale ».
Ces missions sont normalement dévolues aux techniciens supérieurs hospitaliers, corps relevant de la catégorie B.
💡 En l’état de l’instruction, le moyen tiré de l’erreur de droit commise par le directeur du centre hospitalier en retenant une inaptitude professionnelle à exercer des fonctions normalement dévolues à des agents appartenant à un cadre d’emploi de catégorie B supérieur au cadre d’emploi de catégorie C dont relève cet agent est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
Dans un second temps, le tribunal relève que le moyen tiré de l’erreur d’appréciation est également de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
💡Ainsi, le tribunal relève que les notations et évaluations de cet agent sont en constante augmentation depuis sa titularisation.
Par ailleurs, les témoignages de près d’une quarantaine de médecins et agents ayant travaillé avec cet agent depuis 2007 démontrent le caractère ponctuel des retards ou du manque d’organisation.
Le tribunal relève également l’absence de preuve des conséquences péjoratives de sa manière de servir sur le suivi des patients ou les finances de l’établissement.
Au vu de tous ces éléments, le tribunal administratif considère que les deux conditions prévues par l’article L. 521-1 du code de justice administrative sont satisfaites. Le tribunal administratif prononce donc la suspension du licenciement pour insuffisance professionnelle.
Pour lire l’ordonnance :
Tribunal Administratif de Nîmes, 6 novembre 2023, 2303910
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