La question de la prise en charge des frais d’expertise devant le juge administratif est une question récurrente. La Cour administrative d’appel de Bordeaux vient nous rappeler la nécessaire prise en compte de l’équité conformément à l’article R. 621-13 du code de justice administrative.
Les anciennes dispositions de cet article ne précisaient pas de critère de répartition des frais d’expertise, la nouvelle version prévoit désormais un critère d’équité.
🔷Faits
Le 14 juin 2018, le syndicat CGT des municipaux de Tours et du centre communal d’action sociale de la commune, le syndicat CGT de Tours Métropole Val de Loire, l’Union départementale des syndicats CGT d’Indre-et-Loire, et l’association de défense des victimes de l’amiante (ADEVA) Région Centre et limitrophes Nièvre et Allier, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif d’Orléans de prescrire une expertise en vue de déterminer la présence d’amiante sur plusieurs sites situés à Tours.
Par une ordonnance du 6 novembre 2018, le juge des référés a fait droit à la demande en confiant cette mission à un expert en pollution par l’amiante des bâtiments.
Le rapport d’expertise a été déposé au greffe du tribunal le 31 janvier 2019.
Par une ordonnance du 3 avril 2019, la présidente du tribunal administratif d’Orléans a liquidé et taxé à la somme de 3 231,97 euros les frais et honoraires de l’expertise, qu’elle a intégralement mis à la charge des syndicats et de l’association qui avaient sollicité l’expertise.
Ces derniers ont contesté cette ordonnance de taxation devant le tribunal administratif d’Orléans en demandant que cette somme soit mise à la charge de la métropole Tours Métropole Val-de-Loire, qui exerce depuis le 1er janvier 2017 la compétence en matière d’eau, en lieu et place de la commune de Tours, ou, à défaut, de mettre cette dernière dans la cause et à sa charge les frais d’expertise. Ils relèvent appel du jugement du 12 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, à qui l’affaire avait été transmise en application de l’article R. 761-5 du code de justice administrative, a rejeté leur demande.
Les requérants ne contestent pas le montant des frais et honoraires de l’expert qui ont été taxés et liquidés mais seulement le fait qu’ils aient été mis entièrement à leur charge.
🔷 Droit applicable
Article R. 621-13 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret du 16 juin 2023 relatif à l’expertise devant les juridictions administratives et judiciaires, et applicable aux instances en cours :
« Lorsque l’expertise a été ordonnée sur le fondement du titre III du livre V, le président du tribunal ou de la cour, après consultation, le cas échéant, du magistrat délégué, (…) en fixe les frais et honoraires par une ordonnance prise conformément aux dispositions des articles R. 621-11 et R. 761-4. Ces frais et honoraires sont, en principe, mis à la charge de la partie qui a demandé le prononcé de la mesure d’expertise. Toutefois, pour des raisons d’équité, ils peuvent être mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties . (…) ».
➡️ Point particulier : Le décret n° 2023-468 du 16 juin 2023 modifiant les critères prévus par l’article R. 621-13 du code de justice administrative pour la répartition de la charge des frais d’expertise ordonnée en référé est, en l’absence de disposition transitoire, d’application immédiate aux instances en cours.
En ce sens: Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 17 juin 2020, 437590 ainsi que les conclusions du rapporteur public Stéphane HOYNCK:
« La grille d’analyse en matière d’entrée en vigueur de dispositions est bien établie : le principe, à défaut de dispositions transitoires énoncées par la norme, est qu’elle s’applique immédiatement aux situations en cours. Pour autant, la loi nouvelle, sauf à ce qu’elle soit expressément rétroactive, ne peut avoir d’effet sur les situations juridiques définitivement établies avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. S’agissant du cas plus spécifique des règles qui touchent à la phase juridictionnelle, les lois de pure procédure, dont les dispositions organisent l’activité du juge, ses compétences, ses pouvoirs, les formes de sa saisine, et qui ne se heurtent à aucune situation définitivement constituée et à aucun droit acquis légalement protégé, sont d’application immédiates. Inversement les lois qui affectent la substance du droit au recours, et de façon générale les droits du justiciables, et qui sont susceptible de porter atteinte à des situations légales en cours, ne sont applicables qu’aux recours introduits après l’entrée en vigueur de ces dispositions. Ces règles sont en réalité davantage liées au fond du droit qu’à la procédure » (conclusions du rapporteur public Stéphane HOYNCK sous CE, 17 juin 2020, 437590).
Article R. 761-5 du même code :
« Les parties, l’Etat lorsque les frais d’expertise sont avancés au titre de l’aide juridictionnelle ainsi que, le cas échéant, l’expert, peuvent contester l’ordonnance mentionnée à l’article R. 761-4 devant la juridiction à laquelle appartient l’auteur de l’ordonnance (…) ».
L’ordonnance par laquelle le président du tribunal liquide et taxe les frais et honoraires d’expertise revêt un caractère administratif et non juridictionnel. Le recours dont elle peut faire l’objet, en application des dispositions précitées de l’article R. 761-5 du code de justice administrative, est un recours de plein contentieux par lequel le juge détermine alors les droits à rémunération de l’expert ainsi que les parties, présentes à l’expertise, devant supporter la charge de cette rémunération (CE, 7 octobre 2013,Société TP Ferro Concesionaria, n°356675).
🔷 Solution retenue
Il résulte de l’article R. 621-13 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret du 16 juin 2023, que la désignation de la ou des parties devant régler les frais de l’expertise doit prendre en compte de façon équitable l’utilité qu’elle présente non seulement pour le ou les demandeurs mais aussi pour la personne publique mise en cause.
Dans l’affaire soumise à la Cour administrative d’appel, l’expertise avait été demandée par les organisations syndicales et à l’association qui s’étaient jointes dans l’intérêt de ses adhérents.
L’expert désigné avait reçu pour mission notamment de déterminer la présence et le type d’amiante dans les puits de captage et d’exploitation d’eau potable de la métropole de Tours situés sur deux îles de la Loire, l’île aux vaches et l’île Aucard et de décrire les dangers pour les travailleurs, la population et l’environnement résultant de la pollution éventuellement constatée, et de déterminer les travaux ou mesures conservatoires nécessaires.
Par voie de conséquence, l’expertise leur a nécessairement été utile.
➡️ La question se posait de savoir si la mesure d’expertise avait également été utile pour la Métropole de Tours Métropole Val-de-Loire.
La Cour administrative d’appel répond par l’affirmative, suivant ainsi les conclusions du rapporteur public :
« Si l’expertise dont s’agit a été réclamée par les requérants, la prévention des risques encourus tant par les agents chargés de la réhabilitation des puits de captage d’eau que par la population usagère du service de l’eau potable incombe à la métropole de Tours Métropole Val-de-Loire, en charge de cette compétence, et qui ne s’est pas opposée à l’expertise. Par suite, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la métropole de Tours Métropole Val de Loire les frais et honoraires de l’expertise liquidés et taxés à la somme de 3 231,97 euros ».
Toutefois, il est souligné que le rapporteur public avait proposé à la Cour administrative d’appel de répartir par moitié les frais d’expertise. Or, la Cour administrative d’appel a mis à la charge de la métropole de Tours Métropole Val-de-Loire, l’intégralité de l’expertise.
Pour lire l’arrêt :
CAA de BORDEAUX , 13 novembre 2023, 21BX02942
Pour une autre application des nouvelles dispositions de l’article R. 621-13 du code de justice administrative: TA Lyon – N° 2205422 – commune de Nyons – 23 novembre 2023 – C+ (Voir également les conclusions du rapporteur public Romain Reymond-Kellal).
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Sur l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions, il est renvoyé notamment aux décisions suivantes:
- Conseil d’Etat, 11 juill. 2008, Association des amis des paysages bourganiauds, n°313386
- Conseil d’Etat, avis, 18 juin 2014 SCI Mounou et autres, n° 376113
Sur la nature du recours contre l’ordonnance liquidant et taxant les frais et honoraires d’expertise :