Référé mesures utiles - référé - sans abri - hébergement d'urgence - référé liberté

Dans quel cas un référé mesures-utiles peut-il être utilisé pour que soient ordonnées des mesures d’hébergement d’urgence ?

➡️ Une personne sans abri a demandé au juge des référés qu’il soit enjoint à l’administration de prendre toutes mesures afin d’assurer son droit au logement, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (référé conservatoire ou « mesures-utiles »).

La décision commentée est une décision du Conseil d’État du 1er octobre 2024. Elle concerne la réaffirmation sans équivoque du caractère subsidiaire du référé conservatoire, dit « mesures-utiles ». Il ne peut donc être utilisé en lieu et place du référé-liberté pour obtenir une mesure visant à protéger les droits fondamentaux (en l’espèce, l’attribution d’un hébergement d’urgence à une personne sans abri et son enfant), même si un précédent référé-liberté a déjà été rejeté.

🔷 Faits

La requérante, ressortissante nigériane, a demandé le bénéfice de l’asile en 2019 et a donné naissance à un enfant en 2020. Elle a vu sa demande d’asile définitivement rejetée en 2022, puis a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Elle vit dans la rue depuis mars 2023 avec son fils alors âgé de trois ans.

La requérante a saisi une première fois le juge des référés, d’abord sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (référé liberté), demandant à ce qu’il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de lui assurer, ainsi qu’à son enfant, un hébergement d’urgence dans le délai de vingt-quatre heures.

Cette demande a été rejetée par une ordonnance du 17 octobre 2023.

Elle a alors saisi une nouvelle fois le juge des référé, cette fois sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (référé conservatoire ou « mesures-utiles »), afin qu’il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de la prendre en charge, avec son fils, dans le délai de quarante-huit heures, et à ce que son placement et celui de son fils dans un centre d’hébergement soit ordonné dans le délai de dix jours, sous astreinte.

Sa demande a été rejetée par une ordonnance du 10 novembre 2023, contre laquelle elle se pourvoit en cassation.

🔷Droit applicable

Saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l’urgence justifie, notamment sous forme d’injonctions adressées à l’administration, à la condition que ces mesures soient utiles, ne se heurtent à aucune contestation sérieuse et ne fassent obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative, à moins qu’il ne s’agisse de prévenir un péril grave.

💡Le référé mesures utiles a un caractère subsidiaire :   le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 (référé suspension) et L. 521-2 (référé liberté) du même code (CE, n°393540-393541, 5 février 2016, M. B… p. 1).

💡 En outre, les articles L. 345-2 et suivants du code de l’action sociale et des familles permettent aux personnes qui en remplissent les conditions de solliciter le bénéfice du droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale.

Toute personne sans abri peut à ce titre, si elle s’y croit fondée, saisir le juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de prendre toutes mesures afin d’assurer son hébergement d’urgence dans les plus brefs délais.

💡Le droit à l’hébergement d’urgence constitue une liberté fondamentale au sens de  l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Le juge du référé liberté peut donc être saisi d’une demande de relogement dans une structure d’hébergement d’urgence (JRCE, 10  février 2012, F…, n° 356456, T.).  Toutefois, le contrôle du tribunal administratif est particulièrement strict lorsque la demande d’hébergement est présentée par une personne dont la demande d’asile a été définitivement rejetée (CE, Section,  13 juillet 2016, Ministre des affaires sociales et de la santé c/ M. et Mme R…, n° 400074,  Rec.).

🔷Solution retenue

➡️ L’ordonnance attaquée a été annulée par le Conseil d’État, dès lors qu’elle a été rendue à l’issue d’une procédure irrégulière.

En effet, le juge du référé avait laissé à la requérante un délai de cinq jours pour présenter des observations en réplique, puis a rendu son ordonnance un jour avant l’expiration de ce délai, méconnaissant par là-même le principe du contradictoire qui s’impose même au juge des référés (CE, JS, 15 février 2012, SNCF, n° 351174, 351186, T.).

➡️ Réglant ensuite l’affaire au fond, le Conseil d’État a été amené à s’interroger pour la première fois sur le point de savoir si le référé mesures-utiles constitue une voie de recours ouverte aux personnes souhaitant obtenir une injonction ordonnant leur placement en hébergement d’urgence.

1/ D’un côté, le référé mesures-utiles se présente comme une voie alternative intéressante pour assurer la garantie de certaines libertés fondamentales, pour au moins deux raisons :

  • il permet tout d’abord d’obtenir rapidement une injonction du juge, sans avoir à attendre la naissance d’une décision  administrative préalable ;
  • il pose ensuite un critère de l’urgence moins sévèrement apprécié qu’en matière référé-liberté.

Ainsi que le relève le Rapporteur public M. Thomas JANICOT : « contrairement à une idée reçue, le référé liberté n’a pas le monopole de la protection des droits et libertés. […] [I]l est fréquent que la mesure demandée au juge du référé mesures-utiles vise aussi, indirectement, à protéger un droit ou une liberté. » (nous vous renvoyons à la jurisprudence citée dans ses conclusions pour approfondir la question des convergences et divergences in concreto entre les deux référés).

2/ D’un autre côté, le caractère subsidiaire du référé mesures-utiles a été consacré par le Conseil d’État en 2016.

En l’espèce, étant donné que les mesures demandées par la requérante auraient pu être obtenues par la procédure de référé régie par l’article L. 521-2 du code de justice administrative (référé liberté), et quand bien même une telle demande présentée sur ce fondement a été préalablement rejetée, l’octroi d’un hébergement d’urgence tel que sollicité en l’espèce ne peut être ordonné par le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-3 du CJA (référé mesures-utiles).

Par conséquent, le caractère subsidiaire du référé mesures-utiles s’impose alors même lorsque le juge des référés a préalablement considéré que l’article 521-2 du code de justice administrative n’avait pas vocation à s’appliquer. Cette solution se justifie encore par le fait que le juge du référé mesures-utiles ne saurait constituer une voie d’appel, en méconnaissance du principe de complémentarité entre les divers référés administratifs.

La requête est donc rejetée.

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Pour lire l’arrêt : Conseil d’État, Chambres réunies, 1 octobre 2024, 490251

Autre article en contentieux administratif : Frais d’expertise devant le juge administratif : l’équité

 

Par Maître Hanffou, avocate au barreau de Toulon, et Lorraine Dumont, élève-avocate.

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Shanffou

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