
Pour les infirmiers, la question de l’autorisation d’exercer sur un site distinct suscite de nombreuses interrogations.
De manière générale, la jurisprudence administrative confirme que l’exercice en sites multiples est possible, sous réserve de l’autorisation préalable de l’ordre, qui doit apprécier la réalité d’une carence ou d’une insuffisance de l’offre de soins sur le territoire concerné.
➡️ Chaque demande d’ouverture d’un site distinct par un infirmier est appréciée au cas par cas, selon les besoins locaux et la spécificité de l’activité envisagée.
🔷 Faits
Une infirmière libérale travaillait dans un centre médical à Metz. Elle souhaitait aussi pouvoir exercer dans deux autres centres, situés à Essey-lès-Nancy et à Épinal. Pour cela, elle a demandé à l’ordre des infirmiers l’autorisation pour ouvrir un cabinet dans deux autres villes. Sa demande a été refusée le Conseil interdépartemental de l’ordre des infirmiers de la Meuse et des Vosges, tout comme ses recours auprès de l’ordre national. L’infirmière a alors saisi le tribunal administratif, qui lui a donné raison. Le Conseil National de l’Ordre des infirmiers a relevé appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Nancy.
🔷 Droit applicable : quelles conditions pour l’ouverture d’un site distinct pour un infirmier ?
« I. – Le lieu d’exercice de l’infirmier est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit au tableau du conseil départemental de l’ordre.
II. – Si les besoins de la population l’exigent, un infirmier peut exercer son activité professionnelle sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle, lorsqu’il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l’offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la continuité des soins.
L’infirmier prend toutes dispositions pour que soient assurées sur tous ces sites d’exercice, la qualité, la sécurité et la continuité des soins.
III. – La demande d’ouverture d’un lieu d’exercice distinct est adressée au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l’activité envisagée par tout moyen lui conférant date certaine. Elle est accompagnée de toutes informations utiles sur les besoins de la population et les conditions d’exercice. Si celles-ci sont insuffisantes, le conseil départemental demande des précisions complémentaires.
Le conseil départemental au tableau duquel l’infirmier est inscrit est informé de la demande lorsque le site distinct se trouve dans un autre département.
Le silence gardé par le conseil départemental sollicité vaut autorisation implicite à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date de réception de la demande ou de la réponse au supplément d’information demandé.
IV. – L’autorisation est personnelle et incessible. Il peut y être mis fin si les conditions fixées aux alinéas précédents ne sont plus réunies.
V. – Les recours contentieux contre les décisions de refus, de retrait ou d’abrogation d’autorisation ainsi que ceux dirigés contre les décisions explicites ou implicites d’autorisation ne sont recevables qu’à la condition d’avoir été précédés d’un recours administratif devant le conseil national de l’ordre ».
=> L’infirmier doit exercer là où il a déclaré sa résidence professionnelle auprès de l’Ordre . Il peut demander à travailler sur d’autres sites, mais seulement si cela répond à un besoin de la population, par exemple s’il manque d’infirmiers dans une zone ou si cela permet d’assurer la continuité des soins. La demande doit expliquer pourquoi ce besoin existe.
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Articles L. 4041-1, L. 4041-3 et L. 4041-6 du code de la santé publique
Ces articles permettent à plusieurs professionnels de santé de travailler ensemble dans des structures appelées SISA (Sociétés Interprofessionnelles de Soins Ambulatoires), mais sans déroger aux règles qui s’appliquent à chaque profession.
🔷 Ce que disent les juges dans d’autres affaires
Les tribunaux rappellent régulièrement que le fait de travailler sur plusieurs sites n’est pas un droit automatique : il faut une autorisation, qui n’est accordée que si cela répond à un vrai besoin de soins dans la zone concernée. Peu importe que l’infirmier travaille dans un cabinet classique ou dans une structure collective comme un centre médical : la règle est la même pour tous.
Voir notamment :
Décision du Conseil national de l’ordre des infirmiers, 7 juillet 2020, n° 19/23-2019-00259
Cette décision concerne la question de l’exercice forain (non autorisé) de la profession d’infirmier. Ici, il a été jugé que l’infirmière justifiait de deux domiciles professionnels déclarés et autorisé par l’Ordre, ce qui excluait la qualification d’exercice forain. La décision rappelle l’importance de déclarer chaque site d’exercice à l’ordre et d’obtenir les autorisations nécessaires.
🔷 Solution retenue par la Cour
La Cour administrative d’appel de Nancy a donné raison au Conseil National de l’Ordre des infirmiers. Voici pourquoi :
1. La loi ne fait pas de différence selon le type de structure où travaille l’infirmier (cabinet individuel ou centre médical collectif):
« Toutefois, il résulte des dispositions précitées qu’un infirmier libéral ne peut exercer son activité sur un site distinct de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit au tableau de l’ordre, y compris lorsqu’il l’exerce au sein d’un CMSI, géré par une société interprofessionnelle de soins ambulatoires dont il est associé, que sous réserve de l’existence d’une carence ou d’une insuffisance de l’offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la continuité des soins, comme l’exige l’article R. 4312-72 du code de la santé publique. Ces dispositions ne prévoient pas que, pour apprécier la réunion de ces conditions, l’instance ordinale devrait opérer entre les infirmiers exerçant à titre libéral une distinction en fonction des modalités d’exercice de leur profession, et en particulier entre ceux qui exercent, sur un site donné, au sein d’une structure interprofessionnelle, qui n’est d’ailleurs pas prise en compte par les dispositions de l’article R. 4312-72 précité, et les autres infirmiers libéraux »
2. L’infirmière ne contestait pas l’absence de carence dans l’offre de soins infirmiers ou une insuffisance de cette offre préjudiciable à la continuité des soins
3. L’autorisation est nécessaire même pour les infirmiers qui exercent au sein de sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (SISA) :
« l’infirmier libéral qui souhaite exercer son activité sur un site distinct de sa résidence professionnelle est tenu de solliciter une autorisation, y compris lorsqu’il l’exerce, comme en l’espèce, au sein d’une société interprofessionnelle de soins ambulatoires, dont il est associé, dès lors que les associés exerçant notamment comme auxiliaires médicaux restent tenus de satisfaire aux exigences prévues par les lois et règlements, ces sociétés ayant pour seule obligation de déposer leurs statuts auprès de l’ordre professionnel dans le ressort duquel elles sont installées, sans être elles-mêmes soumises aux formalités exigées de leurs associés ».
4. L’infirmière avait acquis des parts sociales des SISA, gérant les CMSI d’Essey-lès-Nancy et d’Epinal, devenant de ce fait associée de ces sociétés, sa situation entrait dans le champ d’application des dispositions de l’article R. 4312-72 du code de la santé publique qui subordonnent l’exercice de l’activité professionnelle d’infirmier sur un site distinct à une autorisation préalable de l’instance ordinale.
💡 Autre point très intéressant de cet arrêt: l’absence d’atteinte à la liberté d’établissement des infirmiers libéraux :
« les restrictions apportées à la liberté d’établissement des infirmiers libéraux par les dispositions de l’article R. 4312-72 du code de la santé publique, qui sont justifiées par des motifs d’intérêt général tenant au maintien d’un service de soins de qualité, équilibré et accessible à tous, et à la régulation de la concurrence entre les professionnels libéraux, sont proportionnées aux objectifs ainsi poursuivis ».
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Pour lire l’arrêt : Cour administrative d’appel de Nancy, 1er avril 2025, n° 23NC02083
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