recours abusifs CDD

Le recours abusifs aux CDD dans la fonction publique est régulièrement sanctionné par le juge administratif.

Dans cet arrêt commenté, le Conseil d’État a confirmé la condamnation de l’État à verser une somme à une employée pour préjudice subi en raison d’un recours abusif à des contrats à durée déterminée (CDD). Les juges ont rappelé que même si certains emplois peuvent être occupés par des contrats à durée déterminée, un recours abusif peut donner lieu à une indemnisation du préjudice subi, évalué en fonction des avantages financiers d’un licenciement en cas de contrat à durée indéterminée.

Le Conseil d’État a ainsi confirmé que l’État devait verser une somme à l’employée en se basant sur les dispositions légales relatives à l’indemnité de licenciement.

🔷 Le recours abusif aux CDD

Une femme agent contractuel a été recrutée par des contrats à durée déterminée successifs d’un an pour occuper:

  • Pendant douze ans, du 1er septembre 1997 au 31 août 2009, des fonctions de surveillante d’externat au collège Cassignol
  • Puis au lycée technologique Saint-Louis à Bordeaux, puis, pendant six ans, du 1er septembre 2009 au 31 août 2015, des fonctions d’assistante d’éducation au lycée Saint-Louis.

A la suite du non-renouvellement de son contrat à compter du 1er septembre 2015, elle a demandé au recteur de l’académie de Bordeaux l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait du recours abusif à des CDD pour l’employer et des conditions de non-renouvellement de son dernier contrat.

Le 8 juin 2017, le recteur de l’académie de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par un jugement du 22 octobre 2018, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à ce que l’État soit condamné à lui verser la somme de 28 786,80 euros en réparation de ces préjudices.

Le 14 octobre 2021, la cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé que si le recours à des contrats successifs de surveillante d’externat dans la limite de six années était légal, l’Etat avait eu recours de manière abusive à une succession de contrats à durée déterminée en employant l’intéressée sur une période de douze années sur le même emploi de surveillante d’externat.

La cour a, en revanche, écarté toute illégalité fautive en ce qui concerne le non-renouvellement du dernier contrat de Mme A par le chef d’établissement du Lycée Saint Louis de Bordeaux. Elle a, en conséquence, annulé le jugement du 22 octobre 2018, condamné l’Etat à verser à Mme A la somme de 7 136,04 euros en réparation du préjudice subi du fait du recours à abusif à une succession de contrats à durée déterminée pour l’employer sur le même poste de surveillante d’externat pendant une durée de douze années, et rejeté le surplus de ses conclusions. Le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu’il prononce à l’encontre de l’Etat une telle condamnation.

🔷 Que dit le droit en cas de recours abusifs aux CDD ?

Le 6° de l’article 3 de la loi du 11 janvier 1984 et l’article L. 935-1 du code de l’éducation exclut expressément les emplois de maîtres d’internat et de surveillants d’externat du champ de la règle énoncée à l’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires,aujourd’hui codifié à l’article L. 311-1 du code général de la fonction publique, selon laquelle les emplois civils permanents de l’Etat et de ses établissements publics administratifs sont occupés par des fonctionnaires.

En outre, l’article 2 du décret du 27 octobre 1938 relatif au statut des surveillants d’externat des collèges modernes dispose :

«  Ces fonctions () cessent de plein droit après six ans de services effectifs pour tous les surveillants ou surveillantes ».

Enfin, aux termes de l’article 8 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non contractuels de l’Etat :

« le contrat ou l’engagement peut être à durée indéterminée, sauf dans les situations suivantes : / () lorsque le poste confié à un agent non titulaire en application des articles 3 (2e, 3e et 6e alinéa) et 5 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée présente, de par sa nature, un caractère temporaire. / Dans ce cas, le contrat ou l’engagement prévoit la date à laquelle il prendra fin. Si à cette date le contrat ou l’engagement est renouvelé, il est réputé être à durée indéterminée, sauf stipulation ou disposition contraire expresse ».

Si ces dispositions permettent à l’Etat ou aux établissements publics locaux d’enseignement, pour l’emploi de surveillants d’externat, de recourir, dans la limite de six années, à une succession de CDD, et s’opposent, en principe, à ce que ces emplois soient occupés dans le cadre de contrats à durée indéterminée, elles ne font pas obstacle à ce qu’en cas de renouvellement abusif de tels CDD, l’agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l’indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l’interruption de la relation d’emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s’il avait été employé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

D’autres décisions vont dans le même sens :

« considérant que, pour rejeter les conclusions de M. B…tendant à la réparation des préjudices qu’il imputait au recours abusif de la commune de Lagny-sur-Marne à une succession de contrats à durée déterminée, la cour administrative d’appel de Paris s’est fondée, par renvoi aux motifs du jugement du 14 octobre 2014 du tribunal administratif de Melun, sur la seule circonstance qu’il ne pouvait, en application des dispositions de l’article 3 de la loi du 26 janvier 1984 mentionnées ci-dessus, se voir proposer un contrat à durée indéterminée ; qu’il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait M.B…, le renouvellement de contrats à durée déterminée présentait un caractère abusif ouvrant droit à l’indemnisation du préjudice subi lors de l’interruption de la relation d’emploi, la cour a commis une erreur de droit » (Conseil d’État, 4ème Chambre, 16 mai 2018, 396107)

« Pour rejeter les conclusions de M. B… tendant à la réparation des préjudices qu’il imputait au recours abusif, par la commune de Royat, à une succession de contrats à durée déterminée, la cour administrative d’appel de Lyon s’est fondée sur la seule circonstance qu’il n’alléguait ni n’établissait remplir les conditions pour se voir proposer un contrat à durée indéterminée sur le fondement des dispositions de l’article 3 de la loi du 26 janvier 1984. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait M. B…, le renouvellement de contrats à durée déterminée présentait un caractère abusif ouvrant droit à l’indemnisation du préjudice subi lors de l’interruption de la relation d’emploi, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit» (Conseil d’État, 3ème Chambre, 3 juillet 2020, 424229)

🔷 Indemnité de licenciement en cas de recours abusifs aux CDD

En second lieu, aux termes du premier alinéa de l’article 51 du décret du 17 janvier 1986 :

« 82En cas de licenciement n’intervenant pas à titre de sanction disciplinaire, une indemnité de licenciement est versée à l’agent recruté pour une durée indéterminée ou à l’agent recruté pour une déterminée et licencié avant le terme de son contrat ».

Aux termes du premier alinéa de l’article 54 du même décret :

«L’indemnité de licenciement est égale à la moitié de la rémunération de base définie à l’article précédent pour chacune des douze premières années de services, au tiers de la même rémunération pour chacune des années suivantes, sans pouvoir excéder douze fois la rémunération de base. Elle est réduite de moitié en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle ».

🔷 Calcul du préjudice en cas de recours abusifs aux CDD

En cas de renouvellement abusif de CDD, l’agent concerné peut se voir reconnaître un droit à l’indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l’interruption de la relation d’emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s’il avait été employé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée. (Tribunal administratif de Montreuil, 4ème Chambre, 2 décembre 2022, 1914090; voir également Tribunal administratif de Rouen, 4ème Chambre, 2 février 2024, 2203541 ; Tribunal administratif d’Amiens, 3ème Chambre, 8 février 2023, 2100988; Cour administrative d’appel de Bordeaux, 2ème Chambre, 15 décembre 2022, 20BX03223  ).

🔷Solution retenue

🧿Analyse effectuée par le juge 

Il incombe au juge, pour apprécier si le recours à des CDD successifs présente un caractère abusif, de prendre en compte l’ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d’organisme employeur ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause.

🧿 Évaluation du préjudice subi en raison du recours abusifs aux CDD

La cour administrative d’appel a jugé que le préjudice subi par cet agent du fait du recours abusif à une succession de CDD pour l’employer sur une période de douze années en qualité de surveillante d’externat devait être évalué en fonction des avantages financiers auxquels elle aurait pu prétendre en cas de licenciement si elle avait été employée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour condamner l’Etat à verser à lui verser la somme de 7 136,04 euros, la cour administrative d’appel s’est fondée sur l’indemnité de licenciement que celle-ci aurait pu percevoir si elle avait été employée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

A ce titre, et bien que, la Cour ait jugé légale, dans la limite de six années, le recours à une succession de contrats à durée déterminée pour employer cet agent, la cour a pris en compte la moitié de sa rémunération de base pour chacune de ses douze années de services.


Pour lire l’arrêt : Conseil d’État, Chambres réunies, 6 février 2024, 459446

Lire également : Fonctionnaire : est-ce qu’une autorisation de cumul d’activités peut être accordée pour une durée indéterminée ?

Categories: Fonction Publique

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