
Dans le cas où l’enquête administrative entraîne une mutation dans l’intérêt du service, est-ce que le fonctionnaire doit avoir accès au rapport d’enquête ? Réponse du tribunal administratif : OUI !
🔷 Faits
La rectrice de l’académie de Versailles a prononcé la mutation dans l’intérêt du service d’un professeur agrégé de mathématiques. Ce professeur a été muté par un arrêté en date du 22 septembre 2022. Le professeur a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette mutation.
🔷Droit applicable
💡Article 65 de la loi du 22 avril 1905 : un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, que cette mesure soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même d’obtenir communication de son dossier.
➡️ Conseil d’Etat: 7-2 chr, 2 oct. 2024, n° 492617 :
« En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme B a été informée, par courrier du 19 février , de l’intention du ministre de l’intérieur et des outre-mer de proposer au Président de la République de mettre fin à ses fonctions de directrice de cabinet du préfet et de la possibilité pour elle de demander la communication de son dossier. Alors qu’elle en a demandé communication le 23 février suivant, son dossier n’a été mis à sa disposition que le vendredi 8 mars en début de soirée. Le décret mettant fin à ses fonctions a été signé moins de trois jours après, le . Dans ces conditions, Mme B n’a pas disposé d’un délai suffisant pour consulter son dossier et faire utilement valoir ses observations avant que la mesure en cause ne soit prise, en méconnaissance des dispositions de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905. Une telle irrégularité, qui a privé la requérante d’une garantie, est de nature à entacher d’illégalité le décret mettant fin à ses fonctions de directrice de cabinet du préfet . Par suite, Mme B est fondée à en demander l’annulation pour excès de pouvoir »
➡️ Lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public ou porte sur des faits qui, s’ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d’un tel agent, le rapport établi à l’issue de cette enquête, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à présenter un risque avéré de préjudice pour les témoins. (TA Besançon, 1re ch., 28 janv. 2025, n° 2300443).
➡️ lorsque résulterait de la communication d’un témoignage un risque avéré de préjudice pour son auteur, l’autorité disciplinaire communique ce témoignage à l’intéressé, s’il en forme la demande, selon des modalités préservant l’anonymat du témoin. Dans le cas où l’agent public se plaint de ne pas avoir été mis à même de demander communication ou de ne pas avoir obtenu communication d’une pièce ou d’un témoignage utile à sa défense, il appartient au juge d’apprécier, au vu de l’ensemble des éléments qui ont été communiqués à l’agent, si celui-ci a été privé de la garantie d’assurer utilement sa défense.(TA Nantes, 12e ch., 10 févr. 2025, n° 2106473).
🔷Solution retenue
Le tribunal a d’abord rappelé plusieurs éléments factuels :
- le ministre de l’Éducation nationale avait saisi l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) en vue de réaliser une mission d’observation à 360° du lycée Z.
- la décision de prononcer la mutation d’office de professeur faisait directement suite au rapport établi par l’IGESR
➡️ La décision de mutation ayant été prise, à la suite de ce rapport, qui décrivait le professeur, comme » participant activement, en dehors des instances du dialogue social de l’établissement ainsi que de l’exercice normal d’une activité syndicale à la dégradation du climat au sein de la communauté éducative « , elle devait être précédée, quand bien même elle a eu pour objet de veiller à l’intérêt du service, de la formalité instituée par l’article 65 de la loi du 22 avril 1905.( la communication du dossier)
❌ Le dossier n’a pas été communiqué intégralement au professeur malgré sa demande de communication du rapport d’inspection. Certes, il avait été informé, au cours d’un entretien, que sa mutation dans l’intérêt du service était envisagée et a pu, à cette occasion, consulter l’intégralité de son dossier administratif. Toutefois, ce dossier ne contenait aucun élément relatif à la mission d’inspection précitée, pas même la synthèse anonymisée produite par le rectorat en défense, ni, a fortiori, la note complémentaire de l’IGESR exposant les motifs pour lesquels l’inspection a préconisé spécifiquement sa mutation.
💡Dans ces conditions, le professeur, le tribunal prend acte du fait que le professeur n’a pas été mis à même de prendre connaissance de l’ensemble des pièces qu’il était en droit d’obtenir, en vertu de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, préalablement à l’intervention de la décision de mutation. En conséquence, il est fondé à soutenir que cette décision de mutation a été prise au terme d’une procédure irrégulière, qui l’a privé de la garantie d’assurer utilement sa défense.
Pour lire le jugement : Tribunal administratif de Versailles, 2ème Chambre, 9 janvier 2025, 2207433
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