Est-ce que la chambre disciplinaire nationale des infirmiers peut adresser des injonctions aux conseils départementaux ?
La décision commentée rendue en ce qui concerne la pratique de l’hydrotomie percutanée a permis de clarifier les pouvoirs des juridictions disciplinaires ordinales.
🔷 Faits
Par courrier du 5 novembre 2019, le président de l’ordre national des médecins a informé le Conseil national de l’ordre des infirmiers qu’il allait engager des poursuites disciplinaires à l’encontre des médecins pratiquant cette technique non éprouvée. Par ailleurs, il lui a signalé les 307 infirmiers inscrits sur l’annuaire en ligne de l’association « société internationale d’hydrotomie percutanée » (SIHP).
Le 3 juin 2020, le Conseil national de l’ordre des infirmiers a saisi la chambre disciplinaire de première instance des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse de plaintes contre ces 307 infirmiers, mais n’en a poursuivi que 32.
Plusieurs infirmiers ont été condamnés. En effet, la chambre disciplinaire de première instance a estimé que l’hydrotomie percutanée ne constituait pas « une thérapeutique dont l’efficacité est reconnue et qui garantit la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées » au sens des dispositions de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, si bien que les infirmiers la pratiquant se livraient au charlatanisme.
Elle a prononcé, s’agissant des 12 infirmiers qui ont fait appel, 1 avertissement, 4 blâmes, 2 interdictions d’exercice de 15 jours avec sursis intégral, 4 interdictions d’exercice d’un mois avec sursis intégral et 1’interdiction d’exercice de quatre mois sans sursis.
Les 12 infirmiers ont fait appel devant la chambre disciplinaire nationale. La chambre nationale, a statué par une décision unique du 11 mai 2023. Il s’agit de la décision attaquée devant le Conseil d’État.
Il ressort de la décision de la chambre disciplinaire nationale que les juges ont considéré qu’il lui appartenait, en vertu d’un principe général du droit, d’assortir sa décision d’une injonction tendant à mettre fin aux manquements et « demandé » au Conseil national de diffuser une mise en garde à tout infirmier concernant cette pratique.
Plus précisément, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des infirmiers a enjoint au Conseil national de cet ordre d’une part, de diffuser, par tous moyens de publicité appropriés, une mise en garde à tout infirmier contre cette pratique et, d’autre part, à demander aux conseils départementaux de l’ordre des infirmiers d’inviter tout infirmier à cesser sans délai cette pratique, sous peine de poursuites disciplinaires.
La possibilité pour la chambre disciplinaire nationale d’adresser des injonctions aux conseils départementaux de l’Ordre des infirmiers posait question. Le Conseil d’Etat a tranché.
🔷 Droit applicable :
Les conseils ordinaux ne sont pas des personnes publiques, mais sont chargés d’un service public (CE, Ass, 2 avril 1943, O…, Rec. p86, GAJA n°48).
➡️ La chambre disciplinaire nationale connaît en appel des décisions rendues par les chambres disciplinaires de première instance.
« La chambre disciplinaire nationale, qui connaît en appel des décisions rendues par les chambres disciplinaires de première instance, siège auprès du Conseil national. Elle comprend des assesseurs titulaires et un nombre égal d’assesseurs suppléants. Les assesseurs sont de nationalité française ».
» IV. – Le conseil national comprend en son sein une chambre disciplinaire nationale qui connaît en appel des décisions rendues par les chambres disciplinaires de première instance. L’article L. 4122-3 est applicable aux infirmiers ».
➡️ Les chambres disciplinaires de première instance peuvent prononcer les peines disciplinaires énumérées à l’article L. 4124-6 qui vont de l’avertissement à la radiation et, lorsque les faits reprochés au professionnel poursuivi ont révélé une insuffisance de compétence professionnelle, lui enjoindre de suivre une formation.
« Les peines disciplinaires que la chambre disciplinaire de première instance peut appliquer sont les suivantes :
1° L’avertissement ;
2° Le blâme ;
3° L’interdiction temporaire avec ou sans sursis ou l’interdiction permanente d’exercer une, plusieurs ou la totalité des fonctions de médecin, de chirurgien-dentiste ou de sage-femme, conférées ou rétribuées par l’Etat, les départements, les communes, les établissements publics, les établissements reconnus d’utilité publique ou des mêmes fonctions accomplies en application des lois sociales ;
4° L’interdiction temporaire d’exercer avec ou sans sursis ; cette interdiction ne pouvant excéder trois années ;
5° La radiation du tableau de l’ordre (…) »
« Lorsque les faits reprochés à un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme ont révélé une insuffisance de compétence professionnelle, la chambre disciplinaire de première instance peut, sans préjudice des peines qu’elle prononce éventuellement en application de l’article L. 4124-6, enjoindre à l’intéressé de suivre une formation notamment dans le cadre du développement professionnel continu défini à l’article L. 4021-1 ou de la certification prévue à l’article L. 4022-1″.
Ces articles sont applicables aux infirmiers en application du IV de l’article L. 4312-5.
💡 En revanche, les chambres disciplinaires de première instance et la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des infirmiers ne tiennent d’aucune de ces dispositions législatives du code de la santé publique le pouvoir d’adresser des injonctions à l’administration ou à une personne privée chargée d’une mission de service public dans l’exercice de cette mission.
🔷 Solution retenue
💡 L’injonction prononcée par la chambre disciplinaire nationale ne pouvait se rattacher à aucun des pouvoirs dont disposent les chambres disciplinaires pour remplir leur office.
➡️ En adressant au Conseil national de l’Ordre des infirmiers l’injonction litigieuse, la chambre disciplinaire nationale a méconnu son office. La décision est annulée en tant qu’elle prononce cette injonction à l’encontre du Conseil national de l’ordre des infirmiers.