sage femme infirmière

Le 28 novembre 2024, le Conseil d’État s’est prononcé dans une affaire complexe opposant deux professionnelles de santé :

Une infirmière libérale, et une sage-femme inscrite à l’Ordre des sages-femmes mais exerçant également comme infirmière libérale. Cette décision met en lumière les tensions entre la réglementation des professions médicales et les réalités de terrain. Dans cet article, nous analysons les faits, le droit applicable et les implications de cette décision, en examinant particulièrement le statut singulier des sages-femmes exerçant comme infirmières.

🔷 Les faits : une association conflictuelle

Une association entre deux professionnelles de santé

En 2019, l’infirmière libérale, et la sage-femme également autorisée à exercer comme infirmière, s’associent pour gérer un cabinet médical. L’objectif était de préparer la cession du cabinet par  la sage-femme en vue de son départ à la retraite. Cependant, dès 2020, des désaccords émergent sur les modalités de cette cession.

Une séparation mouvementée

À l’été 2020, les relations entre les deux associées se détériorent. La séparation intervient dans des conditions conflictuelles, marquées par des différends sur la répartition de la patientèle. L’infirmière accuse la sage-femme d’exercer illégalement la profession d’infirmière sans être inscrite au tableau de l’Ordre des infirmiers et dépose une plainte devant la Chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des sages-femmes.

Rejets successifs de la plainte

La Chambre disciplinaire de première instance rejette la plainte. L’infirmière fait appel devant la Chambre Disciplinaire Nationale, qui confirme ce rejet. Insatisfaite, elle saisit le Conseil d’État en cassation.

🔷 Le droit applicable : une analyse du cadre juridique

 La compétence des juridictions ordinales

La principale question juridique soulevée est celle de la compétence des juridictions ordinales. Comme le relève le rapporteur public, il est  régulièrement rappelé que la circonstance qu’un professionnel soit inscrit au tableau de son Ordre professionnel au moment des faits qui lui sont reprochés  constitue la condition nécessaire et suffisante pour que la juridiction disciplinaire ordinale puisse connaître de ses agissements (Ce, Section, 31 mai 1963, Sieur K). 

Le principe est le suivant : les juridictions disciplinaires de l’Ordre professionnel ne sont compétentes que pour connaître des poursuites contre un professionnel inscrit au tableau de l’Ordre (CE,7 janvier 2023, CPAM de Rhône, n°453882, ).
➡️ La juridiction disciplinaire de l’Ordre des sages-femmes est compétente pour connaître d’une plainte dirigée contre une professionnelle inscrite à l’Ordre des sages-femmes mais qui exerce en réalité la profession infirmière
🚫 La situation de l’espèce était exceptionnelle, dans la mesure où la sage-femme consacrait  la totalité de son activité à une autre profession, celle d’infirmière. 
Sur le cumul des professions médicales, le code de la santé publique prévoit seulement que l’exercice d’une autre activité professionnelle n’est permis que si un tel  cumul est compatible notamment avec l’indépendance et la dignité professionnelle ( Pour les médecins : article R. 4127-26 du CSP ; pour les chirurgiens-dentistes : article R. 4127-203 ; pour les sages-femmes : article R. 4127-322 ; pour les infirmiers : article R. 4312-55 ; pour les pédicures podologues, article R. 4322-46 ; pour les masseurs- kinésithérapeutes : article R. 4321-68.).

🔷La solution retenue par le Conseil d’État

Confirmation de la compétence de l’Ordre des sages-femmes

Le Conseil d’État a considéré que la sage-femme, en tant que membre inscrit de l’Ordre des sages-femmes, relevait de sa juridiction disciplinaire:

« Il en résulte que les juridictions disciplinaires de l’ordre des sages-femmes sont compétentes pour connaître des poursuites engagées contre une sage-femme inscrite au tableau de l’ordre de cette profession, alors même qu’elle est autorisée à exercer en qualité d’infirmière et que les manquements qui lui sont reprochés portent sur l’exercice de la profession d’infirmière, dès lors que ces manquements sont de nature à porter atteinte aux obligations déontologiques indispensables à l’exercice de la profession de sage-femme, et en particulier aux principes de moralité et de probité ».

Rejet des accusations d’exercice illégal de la profession d’infirmière 

Le Conseil d’Etat a rappelé que pour écarter le grief tiré de ce que cette sage-femme aurait illégalement exercé la profession d’infirmière, faute d’être inscrite au tableau de l’ordre des infirmiers, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des sages-femmes avait retenu:

  • qu’elle était titulaire du diplôme d’Etat de sage-femme depuis 1982 et inscrite au tableau de l’ordre des sages-femmes,
  • qu’elle avait été autorisée par le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales du département de la Meuse le 10 février 1995, en application de l’article 2 de l’arrêté du 13 novembre 1964, à exercer en qualité d’infirmière libérale
  • qu’en application des dispositions de l’article 2 de l’arrêté du 29 juin 2011 elle avait pu légalement continuer à exercer ses fonctions d’infirmière.

➡️ En jugeant ainsi qu’elle avait été autorisée à exercer en qualité d’infirmière, « la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des sages-femmes a fait une exacte application des dispositions des arrêtés des 13 novembre 1964 et 29 juin 2011 et n’a pas commis d’erreur de droit en retenant qu’elle ne pouvait connaître des conditions et modalités d’inscription à l’ordre des infirmiers de l’intéressée, le défaut d’une telle inscription, à la supposer obligatoire, n’étant pas constitutif, en l’espèce, d’un manquement de nature à porter atteinte aux principes indispensables à l’exercice de la profession de sage-femme »

 

***

Lire l’arrêt: Décision n° 476391 – Conseil d’État

Shanffou

Partage cet article