La notification du droit de se taire dans le cadre des procédures disciplinaires a fait l’objet de plusieurs décisions récentes. La décision commentée concerne une procédure impliquant un fonctionnaire qui a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant le droit de se taire. Explications.
🔷 L’absence de notification du droit de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire menée à l’encontre du fonctionnaire
Un fonctionnaire a fait l’objet d’une sanction disciplinaire.
Ce fonctionnaire a contesté cette sanction disciplinaire devant le tribunal administratif de Nantes. Dans ce cadre de la contestation de cette sanction, il a également soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.
Par un jugement du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Nantes, avant qu’il soit statué sur la requête de ce fonctionnaire, a décidé, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par ce fonctionnaire.
Ce fonctionnaire soutenait que les dispositions du troisième alinéa de l’article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, en vigueur à la date de la décision attaquée, repris à l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique issu de l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021, applicables au litige et qui n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissaient les principes constitutionnels du droit de se taire et des droits de la défense.
🔷Question prioritaire de constitutionnalité : explications
La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été instaurée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et précisée par la loi organique du 10 décembre 2009.
La QPC permet de contester la constitutionnalité d’une loi à l’occasion d’un procès devant une juridiction administrative ou judiciaire si le justiciable estime que des dispositions de cette loi porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
3 conditions doivent être réunies :
- que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure,
- qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances,
- que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
🔷 La question posée au Conseil constitutionnel
Plusieurs fondements :
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Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
Article 9 : » Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi « .
Article 16 : » Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution « . Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire, et le principe des droits de la défense.
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Loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version antérieure à son abrogation par l’ordonnance du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique
Troisième alinéa de l’article 19 : » Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l’assistance de défenseurs de son choix. L’administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier. Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l’Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d’un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté « .
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Code général de la fonction publique
L’article L. 532-4 : » Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. / L’administration doit l’informer de son droit à communication du dossier. / Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l’assistance de défenseurs de son choix « .
🔷 La transmission de la QPC au Conseil Constitutionnel
Le Conseil d’Etat a décidé de transmettre la QPC pour les raisons suivantes:
➡️ « Les dispositions du troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires repris à l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique sont applicables au présent litige.
➡️ Elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
➡️ Le moyen tiré de ce que ces dispositions, en ne prévoyant pas de notification obligatoire du droit de se taire aux fonctionnaires qui font l’objet d’une procédure disciplinaire portent atteinte à l’article 9 et à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dont découlent le droit de se taire et le principe des droits de la défense soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ».
🔷 Droit de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire : quelques décisions
Décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023
CAA Paris, 2 avril 2024, n°22PA03578
TA Cergy-Pontoise, ord. 21 février 2024, n°2400163
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Pour lire l’arrêt : Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 04/07/2024, 493367
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