Un arrêt récent du Conseil d’Etat vient préciser la procédure pouvant être suivie par les médecins lorsqu’un patient sollicité des soins jugés déraisonnables.
🔷 Faits
Un patient a été opéré le 7 mars 2024 au service de chirurgie vasculaire du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne d’un anévrisme de l’aorte sous-rénale.
À la suite de cette opération sont apparues de graves complications. Ces complications ont conduit à l’admission du patient, le 11 mars 2024, dans un des services d’anesthésie et de réanimation du CHU de Saint-Etienne et ont nécessité 19 nouvelles interventions chirurgicales entre le 9 mars et le 15 mai 2024.
Au cours des presque six mois d’hospitalisation au sein du service de réanimation, l’état de santé du patient s’est fortement dégradé.
La dégradation de son état de santé a conduit les médecins du service d’anesthésie et de réanimation, à partir du 25 avril 2024, à prendre plusieurs décisions successives de limitation des thérapeutiques actives susceptibles d’être prodiguées au patient. Le 25 avril et le 2 mai 2024, il a été déterminé de ne pas traiter les complications les plus graves telles qu’un choc septique sévère, puis les 23 mai et 28 juin, la possibilité de reventilation, d’épuration extra-rénale et de nouveaux actes chirurgicaux a été écartée.
Par une nouvelle décision du 25 juillet 2024, prise à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique pour le cas où le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin de ce service de réanimation, a étendu le champ de la limitation des traitements susceptibles d’être prodigués au patient. Il a notamment décidé d’exclure une réanimation en cas d’arrêt cardio-respiratoire, l’administration de drogues vaso-actives, la réalisation de nouvelles endoscopies et d’examens d’imagerie nécessitant un transfert de service et l’administration de nouvelles antibiothérapies.
L’épouse du patient, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, d’une demande tendant à la suspension de l’exécution de cette décision.
Le juge de première instance a rejeté sa demande. Elle relève donc appel de cette décision devant le Conseil d’Etat.
💡Nouvelle décision en cours d’instance
Au cours de l’instruction de cet appel devant le juge des référés du Conseil d’Etat, alors que le patient était a pu, en dépit de la faiblesse de son état général et de la mise en place, depuis le 5 mai 2024, d’une trachéotomie qui limitent ses capacités d’expression, exprimer sa volonté à l’équipe médicale, une nouvelle décision de limitation des soins susceptibles de lui être prodigués a été prise le 4 septembre 2024 par le responsable du service d’anesthésie et de réanimation.
Cette décision est venue lever certaines des limitations qui avaient été prévues par la décision du 25 juillet 2024. Elle a toutefois refusé de recourir à des soins intensifs en cas d’arrêt cardiaque ou de syndrome de détresse respiratoire aiguë, à l’administration de médicaments vasoactifs ou à la dialyse. De plus, elle estime que la chirurgie abdominale est à éviter.
=> Cette décision a été prise sans mise en œuvre de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, le médecin ayant pu brièvement communiquer avec le patient et constater qu’il était en état d’exprimer sa volonté.
L’intervention de cette nouvelle décision le 4 septembre 2024 a conduit à mettre fin aux effets de la décision prise le 25 juillet 2024. Eu égard à l’office du juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la contestation des conditions d’intervention de la décision du 25 juillet 2024, reprise en appel devant le juge des référés du Conseil d’Etat, s’est trouvée privée d’objet.
🔷 Droit applicable
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Le référé-suspension :
L. 521-2 du code de justice administrative :
« .Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) ».
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Les droits du malade
Aux termes de l’article L. 1110-1 du code la santé publique :
« Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. (…) ».
L’article L. 1110-2 de ce code dispose que :
« La personne malade a droit au respect de sa dignité « .
Aux termes de l’article L. 1110-5 du même code :
« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (…) »
Aux termes de l’article L. 1110-5-1 du même code :
« Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire (…) « .
Aux termes de l’article L. 1111-4 du même code :
» Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement (…) / Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. (…) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. / Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical (…) ».
Dans une décision en date du 19 septembre 2024, le Conseil d’État a rappelé :
« Il résulte de ces dispositions législatives, ainsi que de l’interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu’il appartient au médecin en charge d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté d’arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu’à l’issue d’une procédure collégiale, destinée à l’éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d’un arrêt du traitement et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs ». (Conseil d’EtatJuge des référés, formation collégiale, 19 septembre 2024, 497062).
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Les devoirs des médecins
L’article R. 4127-37 du code de la santé publique énonce, au titre des devoirs envers les patients, qui incombent aux médecins en vertu du code de déontologie médicale :
« En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie (…) ».
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L’expertise ordonnée par la juridiction
Avant de juger l’affaire, le Conseil d’Etat peut ordonner une expertise avant dire droit. Cela n’a pas été fait dans la décision commentée.
Pour une illustration, voir notamment Conseil d’Etat, référé collégial, 19 août 2024, n° 496516 :
« En l’état de l’instruction il est nécessaire avant que le Conseil d’Etat statue sur l’appel dont il est saisi, que soit ordonnée une expertise médicale, confiée à deux praticiens disposant de compétences reconnues l’un en neurosciences et l’autre en médecine physique et de réadaptation, aux fins de se prononcer, après avoir examiné le patient, rencontré l’équipe médicale et le personnel soignant en charge de cette dernière ainsi que ses proches, sur l’état actuel de M. C, et de donner au Conseil d’Etat toutes indications utiles, en l’état de la science, sur les perspectives d’évolution qu’il pourrait connaître. Ces experts seront désignés par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ».
🔷 Solution retenue
➡️ Toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d’investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu’ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que la personne malade soit ou non en fin de vie.
Le Conseil d’Etat relève ensuite que l’état de santé du patient était particulièrement dégradé et que la mise en œuvre des traitements lourds et invasifs visés par la décision du 4 septembre 2024 était susceptible de l’aggraver sans présenter de réelles perspectives thérapeutiques.
➡️ Le Conseil d’Etat a considéré que l’appréciation portée par le médecin, selon laquelle la mise en œuvre des soins visés par cette décision emporterait des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté et traduirait une obstination déraisonnable, et sa décision de ne pas y recourir ou de les limiter ne peuvent être regardées, alors même que le patient et sa famille s’opposent à la mise en œuvre de cette décision, comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée.
➡️ La demande est rejetée.
Pour lire l’arrêt : Conseil d’État, 13 septembre 2024, 497087