Vous avez quitté la fonction publique hospitalière et vous recevez soudainement un titre de recette de l’AP-HP vous réclamant plusieurs dizaines de milliers d’euros ? Vous ne comprenez pas comment cette somme a été calculée ? Le Tribunal administratif de Paris, dans une décision du 1er décembre 2025, vient de rappeler une règle fondamentale : un titre de recette doit impérativement comporter les bases de liquidation de la créance. À défaut, il peut être annulé. Décryptage de cette décision protectrice pour les agents hospitaliers.

🔷Faits

Un agent a bénéficié, entre septembre 2009 et juin 2012, d’une formation professionnelle d’infirmière financée par l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). En contrepartie de ce financement, elle s’était engagée à servir l’établissement pendant cinq années après l’obtention de son diplôme d’État infirmier.

A partir du 10 décembre 2012, date à laquelle la requérante obtient son diplôme, elle commence à exercer ses fonctions au sein de l’hôpital Lariboisière, établissement du Groupe hospitalo-universitaire Nord de l’AP-HP. À compter du 1er août 2015, elle est placée à sa demande en position de disponibilité pour suivre son conjoint à Mayotte.

Le 17 juillet 2021, l’agent présente sa démission de la fonction publique hospitalière afin d’intégrer la fonction publique d’État. Par décision du 20 septembre 2021, elle est radiée des cadres à compter du 1er septembre 2021, date de son intégration directe auprès du rectorat de Mayotte.

Le 10 février 2023, soit près de deux ans après sa démission, l’AP-HP émet à son encontre un titre de recette d’un montant de 20 567,06 euros, en vue de recouvrer les sommes correspondant à la rupture de son engagement de servir.

🔷Droit applicable

Cadre général des titres de recette dans les établissements publics de santé

L’article R. 6145-1 du code de la santé publique soumet les établissements publics de santé au régime budgétaire, financier et comptable défini par le décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

L’obligation de mentionner les bases de liquidation

L’article 24 du décret du 7 novembre 2012 dispose expressément :
« Toute créance liquidée faisant l’objet d’une déclaration ou d’un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. »
Cette disposition impose que la mise en recouvrement d’une créance comporte, soit dans le titre de perception lui-même, soit par référence précise à un document joint ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul ayant servi à déterminer le montant de la créance.

Jurisprudence sur l’ordre d’examen des moyens

Le tribunal rappelle un principe jurisprudentiel essentiel : l’annulation d’un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme (vice de forme) n’implique pas nécessairement l’extinction de la créance litigieuse, à la différence d’une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre (vice de fond).
Il en résulte que lorsque le requérant présente à la fois :
  • Des conclusions tendant à l’annulation du titre exécutoire (régularité formelle)
  • Des conclusions à fin de décharge de la somme (bien-fondé)
Le juge administratif doit examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre. Ce n’est que si aucun moyen de fond n’est retenu qu’il examine les moyens de forme. S’il retient un moyen de forme, son jugement écarte nécessairement les moyens de fond.

🔷Solution retenue

Le tribunal administratif de Paris annule le titre de recette et fait droit à la demande de la requérante.

Analyse du titre de recette litigieux

Les juges constatent que le titre de recette, s’il mentionne le principe de la créance dans la rubrique « objet » (« Dédit rupture de contrat de A… B… »), ne comporte aucune mention concernant les bases de liquidation de la somme de 20 567,06 euros.
Plus précisément, le titre n’indique :
  • Ni le montant de la rémunération mensuelle dont l’AP-HP entend obtenir la répétition
  • Ni le détail de la période concernée par la créance
  • Ni les éléments de calcul permettant d’aboutir au montant réclamé

L’extrait pertinent du jugement est celui-ci :

« Le titre de recette n°230018571047200 émis le 10 février 2023 par la direction spécialisée des finances publiques pour l’AP-HP, s’il mentionne le principe de la créance dans la rubrique « objet » (« Dédit rupture de contrat de A… B… »), ne comporte aucune mention concernant les bases de liquidation de la somme de 20 567,06 euros pour laquelle il a été émis. Il n’indique ainsi ni le montant de la rémunération mensuelle dont l’AP-HP entend obtenir la répétition, ni le détail de la période concernée. « .

Insuffisance des courriers préalables

L’AP-HP a tenté de se prévaloir de deux documents antérieurs :
  1. Un courrier du 24 novembre 2022 précisant que l’agent était redevable de la somme au titre « du solde de son contrat d’engagement de servir qui n’a pas été pris en charge par le Fonds pour l’emploi hospitalier (FEH) au motif qu’elle n’a pas été mutée au sein d’une collectivité hospitalière »
  2. Un courriel du 9 janvier 2023 indiquant que la requérante restait redevable d’un engagement de « 1 an 11 mois et 26 jours »
Toutefois, le tribunal souligne deux insuffisances majeures :
  • Ces courriers ne sont pas référencés dans le titre de recette litigieux
  • Ils ne mentionnent pas davantage les bases de liquidation requises (montant mensuel, période exacte, calcul détaillé)

L’extrait pertinent du jugement est celui-ci :

« Si l’AP-HP se prévaut d’avoir adressé à Mme A…, le 24 novembre 2022, un courrier dans lequel son ancien employeur lui précisait que, à la suite de sa démission de la fonction publique, elle était redevable de la somme litigieuse au titre « du solde de son contrat d’engagement de servir qui n’a pas été pris en charge par le Fonds pour l’emploi hospitalier (FEH) au motif qu’elle n’a pas été mutée au sein d’une collectivité hospitalière », ainsi qu’un courriel, en date du 9 janvier 2023 dans lequel il est précisé que la requérante reste redevable d’un engagement de « 1 an 11 mois et 26 jours », ces courriers, auxquels le titre litigieux ne fait en tout état de cause pas référence, ne mentionnent pas davantage les bases de liquidations susvisées« 

Conclusion des juges

« Dans ces circonstances, la requérante est fondée à soutenir qu’elle n’a pas disposé des éléments suffisants lui permettant de comprendre la manière dont la somme réclamée avait été calculée. »
En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 24 du décret du 7 novembre 2012 est accueilli. Le tribunal n’a pas besoin d’examiner les autres moyens mettant en cause la régularité formelle du titre (notamment l’absence de signature de l’ordonnateur).

Conséquences de la décision

  • Annulation du titre de recette
  • Condamnation de l’AP-HP à verser 1 500 euros à la requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative (frais de justice)
  • Rejet du surplus des conclusions (notamment la demande de décharge, qui n’a pas été examinée au fond)

→ Réflexes à avoir

À réception d’un titre de recette :
  1. Scannez immédiatement le document
  2. Vérifiez la présence des bases de liquidation
  3. Consultez votre contrat d’engagement de servir initial
  4. Rassemblez tous les documents relatifs à votre parcours professionnel (arrêtés de nomination, disponibilité, démission, radiation)
  5. Contactez un avocat dans les 15 jours pour ne pas perdre de temps
Categories: Fonction Publique

Shanffou

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