
La reconnaissance d’un accident de service dans la fonction publique, et plus spécifiquement lorsqu’il survient à l’occasion d’un entretien professionnel, soulève des questions précises quant à la qualification de l’événement, à la charge de la preuve et à l’appréciation du comportement hiérarchique.
La jurisprudence administrative, tant du Conseil d’État que des juridictions du fond, a progressivement affiné les critères permettant de distinguer un accident de service d’un simple incident relevant de la gestion des ressources humaines.
L’analyse des textes applicables, notamment les articles L. 822-18 et L. 822-19 du code général de la fonction publique, ainsi que des décisions récentes des juridictions administratives, permet de cerner les conditions de reconnaissance et d’identifier les évolutions jurisprudentielles majeures.
En l’état du droit, la reconnaissance d’un accident de service lié à un entretien professionnel demeure strictement encadrée : elle suppose la survenance d’un événement soudain et violent, dont la cause excède l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, et l’absence de faute personnelle ou de circonstance particulière détachant l’accident du service.
Dans cet article, nous vous expliquons le cadre légal et les critères jurisprudentiels de reconnaissance de l’accident de service en lien avec un entretien professionnel. Puis, nous ferons un point sur l’évolution de la jurisprudence administrative sur la qualification de tels événements, en insistant sur la portée des décisions récentes des juridictions du fond.
🔷 Le cadre légal et les critères jurisprudentiels de reconnaissance de l’accident de service lors d’un entretien professionnel
L’arrêt du Conseil d’État du 27 septembre 2021
L’arrêt du Conseil d’État du 27 septembre 2021 constitue un tournant majeur dans la reconnaissance des accidents de service liés aux entretiens professionnels. Cette décision précise qu’un entretien d’évaluation entre un agent et son supérieur hiérarchique ne peut être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, sauf s’il est établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique (Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 27/09/2021, 440983).
➡️ Dans cette affaire, une adjointe administrative avait développé un syndrome anxio-dépressif majeur suite à son entretien annuel d’évaluation du 10 février 2015. Bien que le tribunal administratif de Rennes et la cour administrative d’appel de Nantes aient initialement reconnu l’imputabilité au service, le Conseil d’État a annulé ces décisions, estimant que l’entretien n’avait pas comporté d’exercice anormal du pouvoir hiérarchique
Voir également : Conseil d’État, 3ème chambre, 15/05/2023, 455610, Conseil d’État, 7ème Chambre, 3 juillet 2024, 474342
Les arrêts rendus par les Cours administratives d’appel
La Cour administrative d’appel de Bordeaux, dans ses arrêts du 1er juin 2023, a rejeté les requêtes de deux infirmières demandant la reconnaissance de l’imputabilité au service d’un choc psychologique survenu lors d’entretiens professionnels. La Cour a estimé que les propos tenus, même perçus comme agressifs, ne dépassaient pas l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.
➡️ CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 01/06/2023, 21BX02304, CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 01/06/2023, 21BX02303
voir également : Cour administrative d’appel de Bordeaux, 2ème Chambre, 30 avril 2025, 23BX00169 , Cour administrative d’appel de Bordeaux, 2ème Chambre, 27 février 2025, 23BX00653
La Cour administrative d’appel de Versailles, dans sa décision du 11 février 2025 Cour administrative d’appel Versailles, « EPHAD Larmeroux », 11 février 2025, n°24VE01836, a réaffirmé qu’un entretien hiérarchique, même vécu comme difficile, ne constitue pas en soi un accident de service. Cette décision souligne que la simple difficulté de l’entretien ou le fait qu’il ait généré un trouble psychologique ne suffisent plus
La Cour administrative d’appel de Lyon, dans son arrêt du 27 février 2025, a refusé de reconnaître une tentative de suicide survenue après un entretien difficile comme un accident de service, estimant que l’entretien n’était pas un événement soudain et violent et que l’acte était lié à des problèmes préexistants : CAA de LYON, 7ème chambre, 27/02/2025, 24LY01598
Voir également : Cour administrative d’appel de Lyon, 7ème Chambre, 19 juin 2025, 24LY01991
Récemment, la Cour administrative d’appel de Marseille a rappelé qu’un accident survenu dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de tout autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d’un accident de service. Cet arrêt concerne un entretien professionnel :
« Constitue un accident de service, pour l’application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. Sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent ». Cour administrative d’appel de Marseille, 5ème Chambre, 24 juillet 2025, 24MA02111.
Les jugements rendus par les tribunaux administratifs
Nous vous proposons également de revenir sur quelques décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ont une portée inférieure aux décisions du Conseil d’Etat ou des Cours administratives d’appel.
Le Tribunal administratif de Montreuil rappelle que:
« Doit être regardé comme un accident un évènement précisément déterminé et daté, caractérisé par sa violence et sa soudaineté, à l’origine de lésions ou d’affections physiques ou psychologiques qui ne trouvent pas leur origine dans des phénomènes à action lente ou répétée auxquels on ne saurait assigner une origine et une date certaines » Tribunal administratif de Montreuil, 3ème Chambre, 9 décembre 2024, 2213248.
De manière constante, il est rappelé que :
« sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent » (Tribunal administratif de Lyon, 8ème Chambre, 20 décembre 2024, 2301994 ; Tribunal administratif de Besançon, 2ème Chambre, 30 mai 2024, 2300361 ; Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 10ème Chambre, 2 octobre 2024, 2212533.)
La charge de la preuve incombe à l’agent, qui doit établir que le comportement du supérieur hiérarchique lors de l’entretien a excédé les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, par exemple par des propos humiliants, des menaces, ou des actes de harcèlement caractérisés. À défaut, l’entretien, même s’il a pu produire des effets psychologiques importants sur l’agent, ne saurait être qualifié d’accident de service.
Ainsi, le tribunal administratif de Besançon a jugé que si le symptôme dépressif développé d’un agent a pour origine l’humiliation ressentie par l’intéressée lors d’une réunion, ce seul ressenti ne suffit pas à établir qu’au cours de cette réunion, sa supérieure hiérarchique aurait sciemment cherché à la mettre en difficulté ou à la présenter comme un agent incompétent vis-à-vis des personnes qui assistaient à cette réunion. Dès lors, le comportement et les propos de la supérieure hiérarchique de cet agent lors de ladite réunion n’ont pas pu excéder l’exercice normal du pouvoir hiérarchique Tribunal administratif de Besançon, 2ème Chambre, 30 mai 2024, 2300361.
Enfin, la reconnaissance de l’imputabilité au service suppose l’absence de faute personnelle ou de circonstance particulière détachant l’accident du service, conformément à l’article L. 822-18 précité. L’administration peut ainsi écarter l’imputabilité si elle établit que l’événement trouve sa cause dans un fait personnel de l’agent ou dans une circonstance étrangère au service.
Tribunal administratif de Toulon, 4ème Chambre, 23 juin 2025, 2202199
Tribunal administratif de Grenoble, 6ème Chambre, 18 mars 2025, 2206201
Cour administrative d’appel de Toulouse, 2ème Chambre, 21 janvier 2025, 23TL00039
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