droit de se taire médecin

Le Conseil d’État rappelle que tous les médecins faisant l’objet d’une procédure disciplinaire doivent être informés de leur droit de se taire avant toute audition. À défaut, la sanction prononcée sera annulée. Cette décision du 26 novembre 2025 (n° 498680) constitue une avancée majeure dans la protection des droits de la défense des professionnels de santé.

🔷  Faits

Un médecin fait l’objet d’une plainte devant la chambre disciplinaire de première instance de Normandie de l’ordre des médecins. Le Conseil départemental de Seine-Maritime s’associe à cette plainte.

En première instance, la chambre disciplinaire inflige au médecin poursuivi une sanction particulièrement lourde : trois ans d’interdiction d’exercer la médecine.

Le praticien interjette appel de cette décision. Le 9 septembre 2024, la chambre disciplinaire nationale réforme partiellement le jugement et réduit la sanction à un an d’interdiction d’exercer.

Au cours de la procédure d’appel, le médecin comparaît personnellement devant la chambre disciplinaire nationale. Il y est entendu et s’exprime sur les faits qui lui sont reprochés.

Estimant que ses droits fondamentaux n’ont pas été respectés, le médecin forme un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

🔷  Droit applicable

Le fondement constitutionnel : l’article 9 de la Déclaration de 1789

Le Conseil d’État fonde sa décision sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui dispose :
« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »
De ce principe de présomption d’innocence découle directement le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle lui-même le droit de se taire.

Un principe applicable à toute sanction punitive

Le Conseil d’État précise que ces exigences s’appliquent :
  • Aux peines prononcées par les juridictions répressives
  • Mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition
Les sanctions disciplinaires entrent donc pleinement dans ce champ d’application.

 

🔷 Solution retenue

Le principe fondamental : obligation d’informer du droit de se taire

Le Conseil d’État pose un principe clair et sans équivoque (considérant 3) :
« Ces exigences impliquent qu’une personne faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’elle soit préalablement informée du droit qu’elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu’elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l’ordre administratif. A ce titre, elle doit être avisée qu’elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l’instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d’appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information.»
Point crucial : cette obligation existe même en l’absence de texte législatif ou réglementaire l’imposant expressément. Elle découle directement des principes constitutionnels.

Une double obligation d’information

Le médecin poursuivi doit être avisé de son droit de se taire à deux moments distincts :
  1. Lors de son audition au cours de l’instruction
  2. Lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire (audience)
En cas d’appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information devant la chambre disciplinaire nationale, même si elle avait déjà été informée en première instance.

Les conséquences de l’absence d’information

Le Conseil d’État établit deux conséquences majeures (considérant 4) :

1. Irrégularité de la décision si absence d’information à l’audience

La décision de la juridiction disciplinaire est entachée d’irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l’audience sans avoir été préalablement informée de son droit de se taire, sauf s’il est établi qu’elle n’y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier.

2. Interdiction d’utiliser les propos tenus sans information préalable

Pour retenir des manquements et infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut pas se fonder sur les propos tenus par le médecin lors de son audition pendant l’instruction s’il n’avait pas été préalablement avisé de son droit de se taire.
« Il s’ensuit, d’une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d’irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l’audience sans avoir été au préalable informée du droit qu’elle a de se taire, sauf s’il est établi qu’elle n’y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier. D’autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées aux points 2 et 3, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l’instruction si elle n’avait pas été préalablement avisée du droit qu’elle avait de se taire à cette occasion ».

Application au cas d’espèce : cassation de la décision

Le Conseil d’État constate (considérant 7) :
  • Le médecin a comparu devant la chambre disciplinaire nationale
  • Il y a été entendu
  • Mais il ne ressort ni de la décision, ni des pièces de la procédure qu’il ait été informé de son droit de se taire
  • Il n’est pas établi qu’il n’aurait pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier

En conséquence, le Conseil d’État annule la décision de la chambre disciplinaire nationale  et renvoie l’affaire devant cette même juridiction pour qu’elle statue à nouveau.

🔷 Enseignements pratiques pour les médecins

Erreurs fréquentes à éviter

✗ Penser que le silence vous désavantagera

Beaucoup de médecins pensent que garder le silence sera interprété comme un aveu ou un manque de coopération. C’est faux. Le droit de se taire est un droit fondamental qui ne peut en aucun cas être retenu contre vous.

✗ Croire que votre statut de médecin vous prive de garanties

Les médecins bénéficient des mêmes garanties constitutionnelles que tout justiciable. Vous n’êtes pas dans une relation hiérarchique avec la chambre disciplinaire : vous êtes face à une juridiction qui doit respecter vos droits.

✗ Répondre spontanément par souci de transparence

La spontanéité peut vous desservir dans un contexte judiciaire ou disciplinaire. Prenez le temps de consulter un avocat avant de vous exprimer sur les faits reprochés.

✗ Négliger l’appel sous prétexte qu’on a déjà tout dit
Cette décision rappelle qu’en appel, vous devez à nouveau être informé de votre droit de se taire. Ne considérez pas que les garanties de première instance suffisent.

 

Points de vigilance spécifiques

 En cas de procédure pénale parallèle

Si les mêmes faits font l’objet d’une procédure pénale ET d’une procédure disciplinaire ordinale, soyez encore plus vigilant : tout ce que vous direz dans un cadre peut être utilisé dans l’autre. Le droit de se taire prend alors tout son sens.

 Lors de l’instruction (avant l’audience)

Le Conseil d’État est clair : vous devez être informé de votre droit de se taire dès l’instruction. Si un rapporteur de la chambre disciplinaire ou un représentant du conseil de l’ordre vous auditionne, cette garantie s’applique déjà.

 

💡Pour lire la décision : Conseil d’État, 4ème Chambre, 26 novembre 2025, 498680

Sur le même sujet : Les sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre des professionnels de santé : comprendre vos droits

Autres professionnels de santé concernés

Bien que cette décision concerne un médecin, le principe posé par le Conseil d’État a vocation à s’appliquer à tous les professionnels de santé faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ordinale :
  • Infirmiers
  • Kinésithérapeutes
  • Pharmaciens
  • Sages-femmes
  • Chirurgiens-dentistes
Les chambres disciplinaires de tous les ordres professionnels de santé sont concernées.
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Quand faire appel à un avocat ?

Dès la convocation initiale

N’attendez pas d’être sanctionné pour consulter. Plus vous êtes accompagné tôt, mieux vos droits seront protégés.

En cas de plainte ordinale

Qu’elle émane d’un patient, d’un confrère ou du conseil de l’ordre lui-même, prenez immédiatement contact avec un avocat expert en droit de la santé.

Si une audition est prévue

Ne vous présentez jamais seul à une audition, que ce soit devant le conseil de l’ordre ou devant la chambre disciplinaire.

Lors de l’audience
L’avocat peut vous assister ou vous représenter à l’audience

 

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Le Cabinet Hanffou accompagne les professionnels de santé à toutes les étapes :
  • Assistance lors des auditions devant le conseil de l’ordre
  • Défense devant les chambres disciplinaires de première instance et nationale

Shanffou

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