
En matière de contrat de remplacement entre infirmiers, certaines caisses primaires d’assurance maladie tentent de réclamer un indu en se basant sur le volume d’activité et la facturation des actes par le biais de la carte CPS de la titulaire.
La Cour d’appel de Montpellier vient de rendre un arrêt important, le 6 mai 2025 (n° 19/05575), rappelant un principe fondamental : c’est à la CPAM de prouver l’irrégularité avant de réclamer un indu.
Dans cette affaire, la caisse reprochait à l’infirmière :
- d’avoir travaillé pendant la présence de sa remplaçante,
- d’avoir facturé des actes réalisés par la remplaçante avec sa propre carte CPS,
- d’afficher un volume d’activité trois fois supérieur à la moyenne régionale.
➡️ La Cour d’appel a annulé la notification d’indu, faute de preuves suffisantes.
Faits : un indu fondé sur l’irrégularité supposée du contrat
L’affaire soumise à la Cour d’appel de Montpellier concerne une infirmière libérale exerçant dans le département de l’Hérault.
Entre mai 2014 et avril 2016, cette infirmière a fait l’objet d’un contrôle diligenté par la CPAM, portant sur la régularité de sa facturation d’actes infirmiers. À l’issue de ce contrôle, la CPAM a notifié un indu d’un montant particulièrement élevé : 271 658,15 euros.
Le grief sur lequel la CPAM se fondait pour justifier l’indu était le suivant : « facturation d’actes exercés par une tierce personne – actes côtés non executés ».
Selon la CPAM, l’infirmière avait continué à exercer son activité pendant les périodes où elle était censée être remplacée.
La CPAM s’est appuyé sur plusieurs éléments, notamment des rapports d’audition et une analyse du volume d’activité jugé anormalement élevé pour une seule professionnelle. La CPAM a ainsi estimé que la facturation des actes réalisés par la remplaçante, effectuée avec la carte professionnelle de santé (CPS) de la titulaire, n’était pas conforme à la réglementation, même si les feuilles de soins étaient signées par la remplaçante.
Face à cette notification d’indu, l’infirmière a contesté les griefs, expliquant que les contrats de remplacement étaient parfaitement conformes aux modèles de l’Ordre national des infirmiers et que la remplaçante intervenait uniquement pour des périodes limitées, de l’ordre de 6 à 7 jours par mois. Elle a également produit des attestations démontrant que la remplaçante disposait de toutes les autorisations nécessaires et que la titulaire s’abstenait d’exercer pendant les périodes de remplacement.
Après le rejet de son recours amiable par la CPAM, l’infirmière a saisi le tribunal judiciaire, qui a confirmé la position de la caisse et validé la demande de remboursement de l’indu. Refusant de s’avouer vaincue, l’infirmière a interjeté appel devant la Cour d’appel de Montpellier, estimant que la CPAM n’apportait pas la preuve d’une violation des règles relatives au contrat de remplacement.
Droit applicable
L’article L133-4 du Code de la sécurité sociale prévoit que l’organisme d’assurance maladie peut réclamer le remboursement d’un indu en cas de non-respect des règles de facturation. Il appartient toutefois à la CPAM d’apporter la preuve du non-respect de ces règles, la charge de la preuve pesant sur l’organisme qui réclame l’indu.
Le Code de la santé publique, ainsi que la convention nationale des infirmiers libéraux, précisent que le titulaire du cabinet doit s’abstenir de toute activité professionnelle pendant la période de remplacement (voir notamment l’article R4312-84 du code de la santé publique).
Les tribunaux rappellent régulièrement que la CPAM doit démontrer, de manière précise et circonstanciée, que le professionnel de santé a facturé des actes non réalisés ou réalisés par une tierce personne sans respecter la réglementation applicable au contrat de remplacement.
La décision de la Cour d’appel : pas de preuve, pas d’indu
La Cour d’appel de Montpellier a adopté une position particulièrement protectrice des droits de l’infirmière mise en cause. Après avoir examiné l’ensemble des pièces du dossier, la Cour a infirmé le jugement de première instance et annulé la demande d’indu formulée par la CPAM.
La Cour a d’abord relevé que les contrats de remplacement produits étaient réguliers et conformes aux exigences de l’Ordre national des infirmiers. Elle a également constaté que la remplaçante disposait de toutes les autorisations nécessaires pour exercer et que son intervention était strictement limitée à quelques jours par mois, conformément aux attestations versées aux débats.
Surtout, la Cour a estimé que les éléments avancés par la CPAM, notamment les auditions de proches de patients et l’analyse du volume d’activité, n’étaient pas suffisants pour établir de manière certaine une violation des règles de facturation. En l’absence de preuve probante démontrant que l’infirmière titulaire avait continué à exercer pendant les périodes de remplacement, la Cour a jugé que la demande d’indu n’était pas fondée.
Cette décision rappelle avec force l’importance, pour les infirmiers libéraux, de conserver des preuves précises et circonstanciées de leurs périodes de remplacement et de la conformité de leurs pratiques. Elle souligne également que la CPAM ne peut se contenter de simples présomptions ou d’éléments indirects pour justifier une réclamation d’indu au titre d’un contrat de remplacement. La charge de la preuve incombe à la caisse, qui doit démontrer de manière irréfutable le non-respect des règles applicables.
Enseignements pratiques pour les infirmiers libéraux
Cette affaire illustre plusieurs bonnes pratiques pour éviter et contester un indu :
- Rédiger des contrats de remplacement conformes à vos obligations déontologiques
- Conserver toutes les autorisations et justificatifs de la remplaçante,
- Documenter clairement les périodes où le titulaire cesse son activité,
- En cas de contrôle, exiger que la CPAM produise des preuves directes avant de payer un indu.
Références :
Cour d’appel de Montpellier, 3e chambre sociale, 6 mai 2025, n° 19/05575.
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En tant que cabinet expert dans la défense des professionnels de santé, nous recommandons à tous les infirmiers de veiller à la régularité de leurs contrats de remplacement, de s’assurer que les remplaçants disposent des autorisations requises et de conserver systématiquement toutes les pièces justificatives (contrats, attestations, feuilles de soins signées, etc.).
Notre cabinet se tient à votre disposition pour vous accompagner dans la contestation d’un indu, la sécurisation de vos contrats de remplacement ou toute autre problématique liée à votre exercice professionnel.