retenues sur flux CPAM

La récupération d’indus par les caisses primaires d’assurance maladie constitue un défi majeur pour les professionnels de santé libéraux. L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence précise la cadre juridique applicable aux retenues sur flux effectuées par la CPAM.

🔷Faits : un contrôle administratif aux conséquences financières lourdes

Une infirmière libérale a fait l’objet d’un contrôle administratif de la part de la CPAM des Alpes-Maritimes.

À l’issue de ce contrôle, la caisse lui a notifié le 2 septembre 2016 un indu de facturations d’un montant considérable de
69 168,22 euros. Cette notification retient six griefs distincts à l’encontre de l’infirmière.

Conformément à la réglementation, l’infirmière disposait alors d’un délai de deux mois pour s’acquitter de cette somme, présenter ses observations ou saisir la commission de recours amiable.

Par la suite, le 6 décembre 2016, la CPAM a adressé une mise en demeure, portant cette fois sur la somme réduite de 63 516,37 euros. Mais, et c’est là que réside le cœur du problème, parallèlement à cette démarche, et de manière particulièrement contestable, la caisse a procédé dès le 2 décembre 2016 à des retenues sur prestations pour un montant total de 14 510,58 euros.

Les retenues sont donc intervenues avant même que l’infirmière n’ait reçu la mise en demeure.

Après rejet de sa contestation par la commission de recours amiable le 27 février 2017, la professionnelle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale ( aujourd’hui pôle social du tribunal judiciaire).

L’infirmière a également contesté une pénalité financière de 17 000 euros prononcée à son encontre le 21 août 2017, estimant cette sanction disproportionnée.

Le tribunal judiciaire de Nice, par jugement du 26 juillet 2023, a validé partiellement les prétentions de la CPAM tout en réduisant significativement les montants réclamés. Insatisfaite de cette décision , l’infirmière a interjeté appel, estimant que la procédure suivie par la caisse présentait des vices substantiels justifiant l’annulation complète de la notification d’indu.

🔷Droit applicable : un cadre procédural strict protégeant les professionnels

 Les exigences légales de notification d’indu

L’article R.133-9-1 du code de la sécurité sociale impose des conditions strictes pour la notification d’indu.

La lettre de notification doit impérativement préciser la cause, la nature et le montant des sommes réclamées, ainsi que la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement. Elle doit également mentionner l’existence d’un délai de deux mois imparti au débiteur pour s’acquitter des sommes réclamées, ainsi que les voies et délais de recours disponibles.

Dans le cas d’espèce, la Cour d’appel constate que la notification du 2 septembre 2016 ne respecte pas ces exigences fondamentales. Les tableaux joints à la notification ne mentionnent pas les dates de mandatement correspondant aux paiements indus, élément pourtant essentiel pour permettre au professionnel de vérifier le calcul du préjudice allégué par la caisse.

Cette omission  prive l’infirmière de la possibilité de contester efficacement les montants réclamés et constitue une atteinte caractérisée aux droits de la défense.

Les conditions strictes de la retenue sur flux

L’article L.133-4 alinéa 6 du code de la sécurité sociale encadre strictement les conditions dans lesquelles une retenue sur flux peut être opérée. Cette disposition  ne permet la retenue que si le professionnel n’a ni payé le montant réclamé, ni produit d’observations, et sous réserve qu’il n’en conteste pas le caractère indu.

La retenue sur flux procède du mécanisme juridique de la compensation, régi par l’article L.1347-1 du code civil. Cette compensation ne peut avoir lieu qu’entre deux obligations certaines, liquides et exigibles.

La Cour d’appel rappelle qu’avant de procéder à une retenue sur flux, la CPAM doit non seulement notifier une mise en demeure obligatoire après expiration du délai de recours, mais aussi établir une contrainte. Une simple mise en demeure ne constitue pas un titre exécutoire suffisant pour justifier des retenues sur les prestations du professionnel:

 » (…) avant de procéder à une retenue sur flux, de notifier au professionnel de santé, après l’expiration du délai de recours contre sa décision du 2 septembre 2016 pour saisine de la commission de recours amiable non seulement une mise en demeure, mais aussi une contrainte, ce qu’elle n’allègue pas avoir fait. Une mise en demeure ne constituant pas un titre, la caisse ne pouvait, de surcroît avant même la réception de celle-ci par la professionnelle de santé procéder à compter du 2 décembre 2016 à des retenues sur facturations ».

➡️ les retenues opérées étaient donc illicites, pour avoir été effectuées alors que la CPAM ne disposait d’aucun titre rendant la créance alléguée au titre de l’indu certaine et exigible, condition préalable nécessaire à une compensation.

La proportionnalité des pénalités financières

Le prononcé de pénalités financières obéit également à des règles strictes.

Le juge vérifie la proportionnalité de la pénalité financière. En l’occurrence, il a été jugé que la pénalité financière d’un montant de 17 000 euros était disproportionnée :

« Compte tenu de ces indus, présentant des caractères multiples bien que regroupés sous le grief de cotations non conformes aux prescriptions médicales, réitérés dans le temps, la pénalité prononcée n’est pas suffisamment proportionnée, la professionnelle de santé ne justifiant pas des revenus procurés par son activité professionnelle et la caisse ne soumettant pas davantage d’élément à l’appréciation de la cour. Compte tenu de ce peu d’éléments, la cour fixe à 8 000 euros le montant de la pénalité financière, au paiement de laquelle la professionnelle de santé dit être condamnée ».

Cette exigence de proportionnalité constitue un garde-fou essentiel contre l’arbitraire des organismes de sécurité sociale. Elle impose aux CPAM de motiver leurs décisions et de justifier le montant des pénalités prononcées au regard des circonstances de l’espèce.

🔷Solution retenue : une protection renforcée des droits des infirmiers

 L’annulation pure et simple de la notification d’indu

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence adopte une position particulièrement protectrice en infirmant le jugement de première instance et en annulant purement et simplement la notification d’indu du 2 septembre 2016. Cette décision radicale se fonde sur l’irrégularité substantielle de la procédure suivie par la CPAM.

L’absence de motivation complète de la notification, notamment l’omission des dates de mandatement, porte atteinte aux droits de la défense et justifie l’annulation. Cette position jurisprudentielle est particulièrement favorable aux infirmiers libéraux car elle rappelle que les organismes de sécurité sociale ne peuvent se contenter d’approximations dans leurs notifications.

Le respect scrupuleux des formes constitue une garantie fondamentale pour les professionnels de santé. Cette exigence n’est pas purement formaliste : elle permet aux infirmiers de comprendre précisément les griefs qui leur sont reprochés et de préparer leur défense en conséquence.

Cette annulation emporte des conséquences importantes : elle fait disparaître rétroactivement la créance de la CPAM et interdit toute nouvelle procédure de récupération sur les mêmes fondements. Pour l’infirmière concernée, c’est une victoire complète qui efface définitivement la dette réclamée.

La condamnation ferme des retenues illicites

La Cour confirme le caractère illicite des retenues opérées par la CPAM dès le 2 décembre 2016. Ces retenues, effectuées avant même l’envoi de la mise en demeure obligatoire, violent les principes fondamentaux de la compensation et constituent une voie de fait caractérisée.

Cette solution protège efficacement les infirmiers contre les pratiques abusives des organismes de sécurité sociale. Elle rappelle que la retenue sur flux, mesure d’exception, ne peut intervenir qu’après accomplissement de toutes les formalités légales, notamment l’envoi et la réception d’une mise en demeure obligatoire dans les formes requises.

La chronologie des événements révèle l’irrégularité flagrante de la procédure : comment la CPAM peut-elle justifier des retenues intervenant avant même que le professionnel ait été mis en demeure de payer ? Cette pratique, malheureusement répandue, constitue une atteinte grave aux droits des infirmiers libéraux.

La condamnation de ces retenues illicites envoie un signal fort aux CPAM : elles ne peuvent plus agir en toute impunité et doivent respecter scrupuleusement les procédures légales. Cette jurisprudence constitue un précédent favorable pour tous les professionnels confrontés à des situations similaires.

Une approche nuancée des pénalités financières

Concernant la pénalité financière, la Cour adopte une approche plus nuancée tout en restant protectrice des droits de l’infirmière. Tout en reconnaissant la réalité de certains indus, elle considère que la pénalité de 17 000 euros initialement prononcée n’est pas suffisamment proportionnée aux faits reprochés.

La réduction de cette pénalité à 8 000 euros témoigne de l’attention portée par les juges au principe de proportionnalité. Cette décision tient compte de la multiplicité des griefs mais aussi de l’absence d’éléments précis sur les revenus de la professionnelle et sa situation financière.

Cette approche illustre l’importance de la personnalisation des sanctions dans le contentieux de sécurité sociale. Les pénalités ne peuvent être prononcées de manière automatique : elles doivent être justifiées et proportionnées à la gravité des faits reprochés et à la situation particulière du professionnel.

Pour les infirmiers libéraux, cette décision constitue un rappel que les pénalités disproportionnées peuvent être contestées avec succès devant les juridictions compétentes. Il ne faut jamais accepter passivement des sanctions manifestement excessives.

Les enseignements pratiques pour la profession infirmière

Cette décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence constitue une victoire significative pour les infirmiers libéraux confrontés aux procédures de récupération d’indus. Elle établit plusieurs principes fondamentaux qui renforcent la protection des professionnels de santé.

Premièrement, la notification d’indu doit être complète et précise dans tous ses éléments. Les CPAM ne peuvent se contenter de tableaux synoptiques sans indication des dates de mandatement. Cette exigence permet aux professionnels de vérifier la réalité et l’étendue des sommes réclamées et de préparer leur défense efficacement.

Deuxièmement, la retenue sur flux ne peut intervenir qu’après accomplissement de toutes les formalités légales. La mise en demeure obligatoire doit être notifiée et effectivement reçue avant toute retenue. Cette protection procédurale est essentielle pour préserver les droits des infirmiers et leur trésorerie.

Troisièmement, les pénalités financières doivent respecter le principe de proportionnalité. Les organismes de sécurité sociale ne peuvent prononcer des sanctions disproportionnées sans tenir compte de la situation particulière du professionnel et de la gravité réelle des manquements constatés.

Cette jurisprudence démontre qu’une défense énergique et techniquement fondée peut aboutir à l’annulation complète des procédures irrégulières. Les infirmiers libéraux ne doivent pas hésiter à faire valoir leurs droits face aux organismes de sécurité sociale, même lorsque les montants en jeu paraissent importants.

Référence : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 4-8b, 11 juillet 2025, n° 23/10322

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Shanffou

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