déconsidération de la profession

Le grief tiré de la déconsidération de la profession par les masseurs-kinésithérapeutes fait l’objet d’un contentieux fréquent devant les juridictions disciplinaires. Dans une décision en date du 14 novembre 2025, le Conseil d’Etat vient de préciser dans quel cas la déconsidération de la profession peut être retenue. Plus particulièrement, le Conseil d’Etat a répondu à deux questions importantes :

  • certains comportements d’un kinésithérapeute peuvent-ils déconsidérer la profession sans faire l’objet d’aucune publicité ?

  • comment apprécier l’usage de méthodes dites alternatives, présentées comme « douces » ou « vibratoires », au regard des textes qui interdisent les procédés illusoires ?

L’apport majeur de cette décision :

  • le Conseil d’État admet que des actes, du fait de leur gravité, peuvent être de nature à déconsidérer la profession, même s’ils restent connus des seules patientes et de l’ordre ;

  • le Conseil d’Etat rappelle que l’ordre ne peut pas se contenter de sa propre liste de « procédés illusoires » : il doit, dans chaque affaire, vérifier si la méthode utilisée par le kinésithérapeute repose ou non sur les données acquises de la science.

🔷Faits

L’affaire concerne un masseur kinésithérapeute installé en Charente-Maritime, mis en cause à la suite de signalements de plusieurs patientes. Le conseil départemental de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Charente-Martime a déposé une plainte ordinale à son encontre devant la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Nouvelle-Aquitaine.

Les patientes dénonçaient des gestes jugés déplacés au cours de séances, portant sur des zones intimes du corps. Elles indiquaient ne pas avoir reçu d’information claire sur la méthode employée, ni donné un consentement véritablement éclairé avant la réalisation de ces actes.

Le masseur kinésithérapeute invoquait l’utilisation d’une méthode dite « Niromathé ».

Selon lui, les manipulations pratiquées, notamment des vibrations appliquées à la peau, entraient dans le cadre de cette méthode.

Le rapporteur public sous cette décision rappelle que cette méthode est présentée par ses partisans comme une méthode de réflexothérapie vertébrale et périphériques qui conduit le praticien à faire « vibrer la peau », cette « vibration » étant supposée lever « les spasmes responsables des blocages et des douleurs associées »

Pour les instances ordinales, ces pratiques soulevaient plusieurs difficultés. Elles portaient atteinte au respect de la pudeur et de la dignité des patientes. Elles révélaient un défaut d’information loyale sur la nature réelle des soins. Elles traduisaient un défaut de recueil de consentement éclairé, particulièrement problématique lorsque les gestes concernent l’intimité.

En première instance, la chambre disciplinaire a rejeté la plainte. En appel, la chambre disciplinaire nationale a annulé cette décision et prononcé une interdiction d’exercer d’un mois, assortie du sursis. Elle a retenu certains manquements déontologiques, mais a écarté le grief tiré de la déconsidération de la profession. Elle a également refusé de considérer la méthode utilisée comme un procédé illusoire, au sens des dispositions encadrant le charlatanisme.

Le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes a alors saisi le Conseil d’État en cassation, estimant que la sanction retenue n’était pas assez sévère.

🔷  Droit applicable

Le code de déontologie

L’article R. 4321-79 du code de la santé publique dispose que :

« Le masseur-kinésithérapeute s’abstient, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci ».

Il existe des dispositions similaires pour les autres professionnels de santé :

Par ailleurs, l’article R. 4321-80 du code de la santé publique :

 « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le masseur-kinésithérapeute s’engage personnellement à assurer au patient des soins consciencieux, attentifs et fondés sur les données acquises de la science ».

Enfin, l’article R. 4321-87 interdit au masseur-kinésithérapeute de proposer comme salutaire ou sans danger un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé, et proscrit toute pratique de charlatanisme:

« Le masseur-kinésithérapeute ne peut conseiller et proposer au patient ou à son entourage, comme étant salutaire ou sans danger, un produit ou un procédé, illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite »

L’ordre professionnel a établi un tableau des procédés illusoires, recensant certaines méthodes expressément proscrites. La méthode « Niromathé » n’y figure pas, ce qui a conduit la chambre disciplinaire nationale à écarter le grief tiré de l’usage d’un procédé illusoire.

Quelles sont les décisions rendues par le Conseil d’Etat en ce qui concerne la déconsidération de la profession ?

Le rapporteur public sous cette décision rappelle la jurisprudence du Conseil d’Etat. Les situations suivantes peuvent caractériser une déconsidération de la profession :

➡️   l’usage de l’ascendant du soignant pour obtenir les faveurs financières du soigné

Lé déconsidération de la profession a été retenue dans les cas suivants :

  • Pour un masseur-kinésithérapeute qui avait prodigué des soins à une patiente âgée de 87 ans plusieurs fois par semaine, l’avait accompagnée à plusieurs reprises dans sa maison de la Creuse, avait noué avec elle des relations qui l’avaient mis en mesure de l’influencer dans la gestion de son patrimoine et avait en outre accepté qu’elle lui lègue une maison et consente des legs à ses enfants (Conseil d’État, Chambres réunies, 27 juillet 2016, 392282).
  • Pour un médecin, lors de la perception d’honoraires non prévus par la nomenclature générale  (Conseil d’État, Chambres réunies, 23 décembre 2024, 469141 ).
  • Toujours s’agissant d’un médecin, la déconsidération de la profession a été retenue comme circonstance aggravante en plus de l’atteinte à la dignité du patient, pour un médecin qui « avait filmé à leur insu, à l’aide d’un camescope, au moins trois des patientes qui s’étaient confiées à lui pour une consultation gynécologique » (Conseil dEtat, 28 décembre 2000, 196330 ).

 

➡️ Escroqueries à des associés ou des partenaires ou à l’Etat

 

💡Après cet état des lieux des décisions rendues par le Conseil d’Etat, le rapporteur public relève que  la publicité, au-delà de la personne à laquelle l’action préjudicie et l’ordre , n’est pas un critère.

Plus précisément, il ressort de la jurisprudence du Conseil d’Etat que si cette publicité intervient, elle renforce la déconsidération. On peut notamment se référer à la décision du Conseil d’Etat en date du 3 mai 1974 qui avait trait à la diffusion d’un tract  à l’entrée d’un lycée incitant à une sexualité très libre, sans limite, ni distinction entre le normal et l’anormal (Conseil d’État, 13 mai 1974, 89704, Publié au recueil Lebon).

Dans une décision en date du 26 septembre 2018, le Conseil d’Etat a également retenu la déconsidération de la profession à l’encontre d’un médecin qui participait à des émissions, vantait sa pratique médicale et mettait en scène tant sa vie privée que professionnelle sur les réseaux sociaux (Conseil d’État, Chambres réunies, 26 septembre 2018, 407856).

Autrement dit, la publicité n’est pas une condition nécessaire à la caractérisation de la déconsidération de la profession. Elle peut en revanche contribuer à la déconsidération de la profession. 

Quelles sont les décisions rendues par le Conseil d’Etat en ce qui concerne les pratiques identifiées comme illusoires ?

Le Conseil d’Etat considère que les dispositions des articles R. 4321-80 et R. 4321-87 du code de la santé publique :

« autorisent le conseil national à déterminer, au vu des données actuelles de la science et sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, les techniques de masso-kinésithérapie dont, compte tenu de leur caractère illusoire ou insuffisamment éprouvé, les praticiens ne sont, en raison des obligations déontologiques qui leur incombent, pas autorisés à se prévaloir » (Conseil d’État, Chambres réunies, 19 février 2021, 440021).

🔷  Solution retenue

Le Conseil d’État annule la décision de la chambre disciplinaire nationale et lui renvoie l’affaire. Il relève deux erreurs de droit majeures.

👉 La première concerne la déconsidération de la profession. La chambre disciplinaire nationale avait refusé de retenir cette qualification au motif que les actes reprochés n’avaient pas eu de retentissement public. Ils étaient connus uniquement des patientes concernées et des instances ordinales. Le Conseil d’État considère que cette approche est juridiquement erronée:

  » (…) certains actes commis par un masseur-kinésithérapeute peuvent être de nature, du fait de leur gravité particulière, à déconsidérer la profession, même lorsqu’ils n’ont pas eu de retentissement public. Par suite, en estimant que le grief tiré de la méconnaissance de l’article R. 4321-79 du code de la santé publique ne pouvait être retenu, les actes reprochés à M. A… n’ayant fait l’objet d’aucune publicité et n’étant ainsi connus que des seuls patients concernés, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit ».

👉 La seconde erreur de droit concerne l’appréciation des méthodes dites alternatives et la qualification de procédé illusoire. La chambre disciplinaire nationale avait estimé que la méthode Niromathé ne pouvait être regardée comme illusoire, au motif qu’elle ne figurait pas au tableau des procédés illusoires établi par l’ordre, et qu’elle n’aurait été utilisée qu’à titre complémentaire. Le Conseil d’État rappelle que la liste dressée par l’ordre n’a pas de caractère exhaustif. Les juridictions ordinales doivent, dans chaque affaire, examiner concrètement si la méthode utilisée repose sur les données acquises de la science ou si elle présente, au contraire, les caractéristiques d’un procédé illusoire ou d’un charlatanisme :

« Il ressort des énonciations de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale, après avoir constaté que la méthode dite  » Niromathé « , mise en oeuvre par M. A…, apparentée aux  » techniques vibratoires  » et pratiquée par plusieurs professionnels depuis trente ans, n’était pas mentionnée dans le tableau des  » procédés illusoires  » dressé par l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, a estimé que cette méthode ne pouvait être regardée de manière certaine comme un procédé illusoire et qu’elle n’avait été utilisée qu’à titre complémentaire. En ne recherchant pas elle-même si la méthode en cause, telle qu’elle était pratiquée, présentait le caractère d’un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé et en se fondant sur la circonstance inopérante que cette méthode n’aurait été utilisée qu’à titre complémentaire, la chambre disciplinaire nationale a entaché sa décision d’une erreur de droit ».

Le simple fait qu’une méthode ne soit pas mentionnée dans la liste ne suffit donc pas à exclure tout manquement. De même, l’argument tiré de son usage prétendument « complémentaire » ne tient pas. Même appliquée en complément d’autres soins, une pratique insuffisamment éprouvée peut constituer une violation des règles déontologiques.

En outre, de manière évidente, le Conseil national de l’Ordre des masseurs kinésithérapeutes ne peut pas dresser une liste exhaustive de toutes les techniques illusoires.

***

Cette décision présente une portée pratique importante. Pour les masseurs kinésithérapeutes, elle rappelle que des comportements gravement contraires à la dignité et à la pudeur des patients peuvent être sanctionnés au titre de la déconsidération de la profession, même si l’affaire ne fait pas l’objet d’une publicité particulière. Elle incite aussi à une grande prudence dans le recours aux méthodes alternatives, qui doivent être confrontées aux données acquises de la science et à l’interdiction des procédés illusoires.

Pour lire la décision :  Conseil d’Etat, 14 novembre 2025, n° 492235

Shanffou

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