Par un arrêt du 1er juillet 2024, la cour administrative d’appel de Versailles a étendu la jurisprudence Mme E. sur le délai de recours contentieux envoyé par voie postale aux recours administratifs non obligatoires.
Dans cette affaire, la question qui se posait était la suivante : pour le calcul du délai de recours, faut-il prendre en compte la date de réception ou la date d’envoi ?
➡️ La Cour administrative d’appel a pris en compte la date d’envoi. Explications.
🔷 Faits
Une fonctionnaire a été victime d’un accident et a demandé auprès du maire de Garges-lès-Gonesse la reconnaissance de l’imputabilité au service de cet accident.
A la suite du refus du maire, il a saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa demande. Cette fonctionnaire décide alors de saisir la Cour administrative d’appel.
Dans le cadre de la procédure devant la Cour administrative d’appel, la Cour a informé les partir qu’elle était susceptible de relever d’office le moyen d’ordre public tiré de ce qu’il y a lieu d’appliquer dans cette instance le principe rappelé par la décision du Conseil d’Etat n° 466541 du 13 mai 2024 Mme C.
Dans cet arrêté, la Conseil d’Etat avait indiqué que sauf disposition contraire, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi.
🔷 Droit applicable
Article R. 421-1 du code de justice administrative :
» La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (…) « .
Article R. 421-2 du même code :
» Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l’intéressé dispose, pour former un recours, d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu’une décision explicite de rejet intervient avant l’expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours (…) « .
Article R. 421-5 du même code :
» Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision « .
🔷 La décision de la Cour administrative d’appel de Versailles : pour les recours administratifs non obligatoires, le délai se calcule en tenant compte de la date d’envoi
💡 Sauf dans le cas où des dispositions législatives ou réglementaires ont organisé des procédures particulières, toute décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour l’introduction d’un recours contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai.
💡 Le délai de l’article R. 421-1 du code de justice administrative est un délai franc. S’il expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. Et sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Ces principes sont également applicables aux recours administratifs non obligatoires.
➡️ Pour cette fonctionnaire, la Cour relève que le recours gracieux du 29 mai 2018 a été adressé par lettre recommandée et reçue par la commune le 30 mai 2018. A la date de l’expédition de ce recours gracieux le 29 mai 2018, le délai de recours contentieux, qui est un délai franc, n’était pas expiré. Ainsi, le recours gracieux du 29 mai 2018 a interrompu le délai de recours contentieux à l’encontre des arrêtés du 27 février 2018.
➡️ En l’absence de réponse expresse, cette fonctionnaire a demandé la communication des motifs de la décision implicite de rejet de son recours gracieux par un courrier de son conseil du 27 août 2018.
La Cour relève :
« Alors même que cette demande n’aurait pas eu pour effet de proroger le délai de recours contentieux jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant le jour de la communication de ces motifs en application des dispositions de l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration, le maire de la commune de Garges-lès-Gonesse doit être regardé comme ayant expressément confirmé le rejet implicite du recours gracieux par une décision expresse du 11 septembre 2018 notifiée au conseil de [cette fonctionnaire]. le 24 septembre 2018. Cette décision explicite étant intervenue avant l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date de naissance de la décision implicite de rejet, a fait à nouveau courir le délai de recours conformément aux dispositions précitées de l’article R. 421-2 du code de justice administrative. Le délai de recours contentieux expirant normalement le dimanche 25 novembre 2018 a été prorogé jusqu’au lundi 26 novembre 2018, date à laquelle la demande de [cette fonctionnaire] a été enregistrée au greffe du tribunal administratif ».
✅ La saisine du tribunal administratif n’était pas tardive contrairement à ce qu’a estimé le tribunal administratif.
✅ La Cour a retenu la même solution pour la demande indemnitaire formulée par cette fonctionnaire.
🔷La décision de principe du Conseil d’Etat – 13 mai 2024
Une sage-femme, a été poursuivie devant la juridiction disciplinaire de son Ordre professionnel à la suite d’une plainte déposée à son encontre par un médecin. En première instance, la juridiction disciplinaire a rejeté la plainte mais, sur appel de la sage femme, la chambre disciplinaire nationale a retenu que la sage-femme avait commis des négligences dans la surveillance du rythme cardiaque du fœtus. Elle lui a infligé un blâme.
Ce que décidait le Conseil d’Etat avant cette décision : la règle dite de la « date de réception »
Selon cette règle, l’éventuelle tardiveté d’un recours adressé par la voie postale à une juridiction de l’ordre administratif s’appréciait à la date à laquelle le pli a été remis au secrétariat de la juridiction (Conseil d’Etat, 30 décembre 1998, Époux S., n° 167843) ; Conseil d’Etat, 30 juillet 2003, Mme C, n°240756).
On prenait donc en compte la date de réception et non la date d’envoi.
Que se passait-il en cas de retard de la Poste dans l’acheminement du courrier ?
➡️ Lorsque le recours était reçu tardivement par la juridiction, il était toutefois recevable s’il avait été postée « en temps utile » pour y parvenir à temps selon « les délais normaux d’acheminement du courrier ». Le requérant devait donc postait son recours en prenant de la marge pour qu’il parvienne à la juridiction avant le terme du délai.
Tel n’était pas le cas lorsque le recours était posté:
- Le jour de l’expiration du délai (Assemblée, 23 octobre 1992, T…, 136965, A10)
- La veille pour le lendemain (6 février 1981, S…, n°24269, C 11).
Avec la décision du Conseil d’Etat du 13 mai 2024 : la date d’envoi
« Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi ».
Pour lire l’arrêt : CAA de VERSAILLES, 1 juillet 2024, 21VE03465